Le microbiote intestinal et la façon dont il interagit avec le système nerveux central constituent un domaine de recherche très actif ces dernières années. Cependant, les mécanismes intervenant au niveau de l’axe intestin-cerveau sont encore largement méconnus, entravant souvent les essais de thérapies ciblant le microbiote intestinal. Une nouvelle étude de l’institut médical de Baylor (de l’hôpital pédiatrique du Texas, aux États-Unis) a peut-être franchi une étape clé en mettant au point un protocole permettant d’identifier et d’évaluer précisément les métabolites synthétisés par chaque microorganisme du microbiote. Ce nouvel outil constituerait le meilleur moyen à ce jour de comprendre les processus complexes régissant la communication entre le cerveau et les intestins. Il ouvrira peut-être la voie vers des stratégies thérapeutiques révolutionnaires.
Se formant dès la naissance et propre à tout un chacun, le microbiote intestinal constitue la plus grande réserve microbienne de notre organisme. Écosystème extrêmement riche et diversifié, il est connu depuis quelques années pour réguler une grande variété de fonctions métaboliques. Les métabolites synthétisés par cette population microbienne se retrouvent notamment dans la circulation sanguine et modulent un nombre important de processus physiologiques chez l’hôte.
Une étude antérieure a montré que cette modulation serait régie par une communication directe entre le cerveau et le microbiote intestinal. Les neurones de l’hypothalamus détecteraient directement les variations d’activités de ce dernier, et adapteraient en fonction l’appétit, la sensation de soif, la température corporelle, la reproduction, etc. De ce fait, l’altération du microbiote est un facteur important de troubles métaboliques tels que le diabète et l’obésité, mais également de troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression et la schizophrénie et de maladies neurologiques telles que Parkinson, Alzheimer, etc.
L’altération du microbiote intestinal peut résulter de la prise excessive de certains types d’aliments (ou de substances chimiques telles que les conservateurs industriels et les antibiotiques). Les pharmacologues explorent donc aujourd’hui la piste selon laquelle il est possible d’inverser ce processus d’altération. C’est-à-dire que l’on pourrait concevoir des thérapies visant à rétablir un certain équilibre au niveau du microbiote, de sorte à cibler diverses pathologies.
Cependant, avant de pouvoir mettre au point ces stratégies thérapeutiques, il est nécessaire de comprendre la façon exacte dont une population ou un groupe de populations microbiennes médient un processus physiologique donné. Si l’on sait en effet aujourd’hui que les bactéries produisent des métabolites en guise de signaux chimiques (sous la forme d’acides gras et de diverses protéines comme l’histamine), parvenant jusqu’au système nerveux central, il est encore difficile d’en connaître précisément les mécanismes.
« Actuellement, il est difficile de déterminer quelles espèces microbiennes entraînent des altérations cérébrales spécifiques dans un organisme vivant », explique dans un communiqué Thomas D. Horvath, professeur de pathologie et d’immunologie à l’institut de médecine de Baylor, et auteur principal de la nouvelle étude. Dans cette dernière, décrite dans la revue Nature Protocols, les chercheurs proposent un nouveau protocole de laboratoire permettant l’identification et l’évaluation complète des effets des métabolites produits par chaque microorganisme du microbiote intestinal au niveau cellulaire, sur des modèles animaux.
« Les modèles animaux ont joué un rôle primordial dans la liaison des microbes à ces processus neuronaux fondamentaux », indique Jennifer K. Spinler, professeure adjointe de pathologie et d’immunologie à Baylor et coauteure principale de la nouvelle étude. « Le protocole de l’étude actuelle permet aux chercheurs de prendre des mesures pour démêler l’implication spécifique de l’axe intestin-cerveau dans ces conditions, ainsi que son rôle dans la santé », ajoute-t-elle.
Un protocole en trois étapes
Pour mettre leur nouveau protocole au point, les chercheurs ont prélevé des échantillons de microorganismes habituellement présents dans le microbiote intestinal pour les cultiver en laboratoire. Ils ont ensuite collecté les métabolites afin de les analyser par le biais d’une spectrométrie de masse et des méthodes métabolomiques ciblées (basées sur la chromatographie liquide). La première consiste notamment à identifier et à quantifier des composés selon leurs poids moléculaires, tandis que la deuxième consiste en une technique d’étude à grande échelle des métabolites.
Les effets des métabolites collectés ont ensuite été analysés sur des organoïdes intestinaux humains ayant les mêmes propriétés qu’un intestin grêle physiologiquement actif. Les métabolites ont également pu être testés in vivo chez des souris. Ces dernières comprenaient des groupes de souris ne possédant aucun germe au niveau de leurs intestins, et un autre groupe peuplé par Bifidobacterium dentium et Bacteroides ovatus mono-associées (souris sans germes colonisées par une seule espèce de microorganisme intestinal).
À savoir que les protocoles antérieurs n’examinaient généralement que des échantillons de selles, tandis que le nouveau protocole inclut des cultures bactériennes, des cultures d’organoïdes et des modèles in vivo, en plus de surveiller la teneur en métabolites des échantillons de selles. Par ailleurs, le protocole aurait nécessité 3 semaines pour que les microorganismes expérimentaux colonisent les intestins des souris. Une à deux semaines ont ensuite été dédiées à l’analyse instrumentale et quantitative basée sur la spectrométrie de masse en chromatographie liquide et en tandem, ainsi que le post-traitement et la normalisation de l’échantillon. Ce modèle en trois étapes permettrait de renforcer les analyses des processus induits par les métabolites microbiens.
En prochaine étape, les chercheurs comptent étendre leur protocole à une communauté microbienne spécifique, de façon à étudier leur synergie. « Notre protocole offre un moyen d’identifier des solutions potentielles lorsqu’une mauvaise communication entre l’intestin et le cerveau entraîne une maladie », conclut Horvath.