Une équipe internationale de chercheurs, menée par l’Université de Pennsylvanie, a créé une puce dont les performances dépassent celles de tout matériel de communication quantique existant. Et pour cause : cette puce ne stocke pas les données sous forme de qubits, mais sous forme de qudits, qui offrent non pas deux, mais quatre niveaux de superposition. Le dispositif offre ainsi une sécurité et une robustesse sans précédent.
Les puces non quantiques stockent, transmettent et calculent des données à l’aide de bits, qui peuvent prendre la valeur 0 ou 1. Les dispositifs quantiques reposent quant à eux sur des qubits, capables de prendre à la fois les valeurs 0 et 1 — un état de simultanéité appelé « superposition » et un principe fondamental de la mécanique quantique. Ce principe de superposition rend les communications plus sécurisées, car il est impossible de dupliquer un qubit (cela nécessiterait de le mesurer et donc, de « figer » son état).
La cryptographie quantique assure ainsi l’inviolabilité des échanges d’informations. Mais avec seulement deux niveaux de superposition, les qubits utilisés dans les technologies de communication quantique ont un espace de stockage limité et une faible tolérance aux interférences. Liang Feng, professeur aux Départements de science et génie des matériaux et des systèmes et génie électriques de Penn Engineering, a donc mis au point un dispositif reposant sur des qudits à quatre niveaux : le taux maximal de clé secrète pour l’échange d’informations passe de 1 bit par impulsion à 2 bits par impulsion.
Un niveau de contrôle supplémentaire sur le spin photonique
La communication quantique repose sur des photons dans des états de superposition étroitement contrôlés : leurs caractéristiques (position, quantité de mouvement, polarisation et spin) ne sont pas décrites par des valeurs fixes, mais par des probabilités de valeurs. Ce n’est que l’acte d’observation, de détection ou de mesure qui confère au système quantique une propriété fixe. C’est une avancée remarquable pour les technologies de chiffrement, dans la mesure où il est impossible d’intercepter, de lire ou de cloner une information sans que cela se voie immédiatement.
L’objectif de l’équipe était d’ajouter un niveau de contrôle supplémentaire, de manière à doubler l’espace d’information quantique disponible. « Le plus grand défi était la complexité et le caractère non évolutif de la configuration standard. Nous savions déjà comment générer ces systèmes à quatre niveaux, mais il fallait un laboratoire et de nombreux outils optiques différents pour contrôler tous les paramètres associés à l’augmentation de la dimension. Notre objectif était d’y parvenir sur une seule puce. Et c’est exactement ce que nous avons fait », relate Zhifeng Zhang, co-auteur de l’étude décrivant le dispositif.
Le microlaser spin-orbite hyperdimensionnel que Feng et ses collègues ont mis au point s’appuie sur les travaux antérieurs de l’équipe avec les microlasers vortex : ces derniers sont capables de régler de manière sensible le moment angulaire orbital des photons. La possibilité de manipuler et de coupler le moment angulaire orbital et le spin d’un photon est ce qui leur a permis de réaliser un système à quatre niveaux de superposition.
« Imaginez les états quantiques de notre photon comme deux planètes empilées l’une sur l’autre. Auparavant, nous n’avions que des informations sur la latitude de ces planètes. […] Maintenant, nous avons aussi la longitude. […] Nous coordonnons la rotation et le spin de chaque planète et maintenons les deux planètes dans une relation stratégique l’une par rapport à l’autre », explique Zhang.
Un canal de communication moins sensible aux interférences
Cette dimension supplémentaire rend la technologie de communication quantique encore plus robuste et mieux adaptée aux applications du monde réel. Considérons un protocole de chiffrement populaire, connu sous le nom de « distribution quantique de clé » (ou QKD, pour Quantum Key Distribution). Celui-ci repose sur des états quantiques générés de manière aléatoire, qui sont envoyés dans les deux sens entre l’expéditeur (Alice) et le destinataire (Bob) pour tester la sécurité d’un canal de communication. Si Alice et Bob détectent une quelconque différence entre leurs messages, ils savent que quelqu’un a tenté d’intercepter leur communication. Dans le cas contraire, le canal est jugé sûr.
Avec des photons classiques, codés en bits, un espion (Eve) peut les voler, les copier et les remplacer sans qu’Alice ou Bob ne s’en rendent compte. Même si Eve ne peut pas déchiffrer les données qu’elle a volées dans l’immédiat, elle peut les conserver jusqu’à ce que les progrès de l’informatique lui permettent de le faire. Avec des photons quantiques, pas de vol ni de copie possible : cela entraînerait la perte de la superposition, qu’Alice et Bob ne manqueront pas de remarquer. Le canal n’étant pas sécurisé, ils n’utiliseront pas leur clé de sécurité. La sécurité repose ici sur une propriété de la physique quantique, plutôt que sur une difficulté mathématique.
Les lois de la physique quantique peuvent empêcher Eve de copier le qubit intercepté, mais son intervention peut perturber (voire rompre) le canal de communication quantique. Alice et Bob devront continuer à générer des clés et à les envoyer dans les deux sens jusqu’à ce qu’Eve cesse d’interférer. Or, les qubits sont très sensibles aux perturbations de leur environnement — une « attaque » peut d’ailleurs parfois être difficile à distinguer du bruit inhérent au canal lui-même.
Les qudits permettent de résoudre définitivement le problème : si Eve essaie d’espionner la communication, Alice et Bob s’en rendront compte, mais leur message aura par ailleurs une bien plus grande tolérance à l’erreur — non seulement vis-à-vis de l’interférence causée par Eve, mais aussi vis-à-vis des défauts accidentels introduits lorsque le message voyage d’un point à l’autre. Le canal demeure efficace et sécurisé.
« On craint beaucoup que le chiffrement mathématique, aussi complexe soit-il, ne devienne de moins en moins efficace, car les technologies informatiques progressent très rapidement. Le fait que la communication quantique repose sur des barrières physiques plutôt que mathématiques la met à l’abri de ces futures menaces », conclut Feng.