La pollution plastique est devenue un problème mondial majeur. Ces dernières années, des études ont mis en évidence la dissémination de microplastiques – de minuscules particules issues de la dégradation des plastiques – dans l’air, l’eau, les sols et jusqu’aux aliments. Leur présence a été détectée aussi bien dans la banquise antarctique que dans les tissus humains, faisant de cette contamination un défi de taille pour la santé publique et les écosystèmes.
Si les mécanismes de leur accumulation sont désormais mieux cernés, leur impact sur les plantes demeure encore largement méconnu. Une étude récente met en évidence un phénomène préoccupant : ces particules ne se contenteraient pas d’envahir les écosystèmes, elles compromettraient aussi l’un des processus biologiques les plus fondamentaux, la photosynthèse. Une altération susceptible d’affecter la productivité agricole et d’exposer, d’ici vingt ans, près de 400 millions de personnes au risque de famine.
Les microplastiques, principalement issus des plastiques à usage unique, se retrouvent désormais dans toutes les sphères du vivant, y compris dans le corps humain. Leur présence a déjà été documentée dans le système digestif, le placenta, les poumons, le foie, les reins et même le cerveau. Une étude publiée en février révélait que ces particules s’y accumulent en quantités inquiétantes, atteignant parfois l’équivalent d’une cuillère à café. L’accumulation serait d’ailleurs plus marquée chez les patients souffrant de maladies neurodégénératives.
Si les impacts des microplastiques sur la santé humaine sont de plus en plus étudiés, leurs effets sur les écosystèmes restent encore largement sous-estimés. Une méta-analyse menée par des chercheurs de l’Université de Nankin (Chine), publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, met en lumière une menace insoupçonnée.
Une menace directe pour la sécurité alimentaire
D’après ces travaux, les microplastiques perturbent le processus de photosynthèse, qui permet aux plantes, aux algues et à certaines bactéries de convertir l’énergie solaire en énergie chimique sous forme de glucose. « Notre étude fournit une évaluation globale de l’impact des microplastiques sur la sécurité alimentaire », expliquent les chercheurs, dirigés par le professeur Huan Zhong. Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe a analysé 157 études préexistantes, représentant plus de 3 300 ensembles de données sur les effets de ces polluants.
Les résultats sont préoccupants : la pollution plastique pourrait réduire la productivité agricole mondiale, avec des pertes annuelles estimées entre 4 % et 13,5 % pour des cultures essentielles comme le riz, le maïs et le blé. Une tendance qui, en raison de l’aggravation continue de la pollution, risque d’accentuer la crise alimentaire mondiale.
En 2022, environ 700 millions de personnes souffraient de la faim. Selon les projections des chercheurs, la pollution par les microplastiques pourrait ajouter 400 millions de personnes à ce chiffre d’ici vingt ans. « L’ampleur de l’impact est ce qui m’a le plus surpris », confie à Scientific American Marcus Eriksen, scientifique marin au 5 Gyres Institute, une organisation spécialisée dans la recherche sur la pollution plastique, qui n’a pas participé à l’étude.
Des écosystèmes marins fragilisés
L’impact des microplastiques ne se limite pas aux cultures terrestres. La baisse de la photosynthèse pourrait aussi affecter les écosystèmes aquatiques, notamment les algues, essentielles à l’équilibre des océans. Déjà menacées par la pollution aux crèmes solaires, elles pourraient voir leur capacité photosynthétique chuter de 2 à 12 %. Une diminution qui compromettrait la production de produits de la mer et pourrait entraîner une baisse de 7 % des ressources halieutiques mondiales. À terme, les pertes dans le secteur de la pêche pourraient atteindre 24 millions de tonnes de poissons et crustacés.
Pour approfondir ces recherches, l’équipe de Zhong a utilisé un modèle d’intelligence artificielle pour évaluer l’impact des microplastiques sur la production alimentaire. Les résultats obtenus ont confirmé la menace que représente cette pollution pour la sécurité alimentaire mondiale.
Au-delà des enjeux agricoles et halieutiques, la perturbation de la photosynthèse pourrait aussi avoir des conséquences sur le climat. En réduisant l’absorption du dioxyde de carbone par les plantes, ce phénomène risquerait d’accélérer le réchauffement climatique. Sans compter qu’une étude récente a mis en évidence une baisse annuelle de 0,25 % de la capacité de séquestration du CO₂, un phénomène préoccupant alors que la capacité naturelle de captation du carbone avait atteint son pic en 2008.
Un appel à des mesures urgentes
Face à ces constats préoccupants, de nombreux experts appellent à une action rapide. Richard Thompson, biologiste marin et spécialiste de la pollution plastique à l’Université de Plymouth, estime que cette étude renforce l’urgence d’un accord international sur la réduction des plastiques.
« Le traité mondial des Nations unies sur les plastiques, actuellement en négociation, représente une opportunité clé. Il est impératif qu’il inclue des mesures visant à limiter la pollution par les microplastiques », a-t-il déclaré au Science Media Centre.
Les chercheurs estiment qu’une réduction de 13 % des microplastiques dans l’environnement pourrait permettre d’atténuer les pertes agricoles, évitant la disparition de 14 à 47 millions de tonnes de production, et limitant la diminution des ressources halieutiques de 0,14 à 3,16 millions de tonnes. Ces conclusions soulignent l’urgence d’adopter des politiques efficaces pour limiter la pollution plastique et préserver la sécurité alimentaire mondiale.