Depuis quelques années, les bunkers ultra-luxueux et entièrement autonomes sont en vogue chez les milliardaires. Alors que certains pourraient y voir une prédiction d’un avenir apocalyptique, des analystes suggèrent plutôt une forme de féodalisme. Autrement dit, ils chercheraient à créer des écosystèmes autonomes dont ils contrôlent tous les aspects, et ce tout en étant en accord avec les communautés locales.
En décembre de l’année dernière, il a été rapporté que Mark Zuckerberg, PDG de Meta, a acheté des milliers d’hectares de terrain sur l’île de Kauai, à Hawaï. Il serait en train d’y installer un immense complexe qu’il a baptisé Ko’olaou Ranch, et dont la construction coûterait plus de 260 millions de dollars. S’étendant sur 5 500 000 mètres carrés, l’immense domaine ultrasécurisé est entièrement entouré d’un mur de deux mètres de haut et surveillé en permanence par de nombreux agents de sécurité.
D’après les plans révélés par Wired, le domaine inclut plusieurs grandes villas reliées par des tunnels souterrains, au moins 11 cabanes de luxe perchées dans les arbres et reliées par des ponts suspendus et un terrain de foot. Un gigantesque bunker sous-terrain serait également en construction dans le ranch. Diverses installations sont dédiées au dessalement, à la purification et au stockage de l’eau.
Zuckerberg a également révélé dans l’une de ses publications sur Instagram, qu’il y élevait son propre bétail en les nourrissant avec des noix de macadamia provenant des plantations du ranch. Étant donné que chaque vache consomme entre 2 et 5 tonnes de nourriture par an, cela représente des centaines d’hectares de plantation.
D’autres milliardaires, dont Oprah Winfrey, Frank VanderSloot (PDG de Melaleuca) et Bill Gates ont également acheté de milliers d’hectares de terrain pour y construire de gigantesques propriétés à Hawaï et ailleurs sur le territoire américain. D’autres, comme Peter Thiel (fondateur de PayPal), préfèrent investir à l’étranger, notamment en Nouvelle-Zélande.
Le point commun entre les projets de ces milliardaires est la présence de bunkers fortifiés ainsi que de systèmes d’approvisionnement leur permettant une autonomie quasi totale. Alors que ces infrastructures sont toujours plus en vogue dans la culture populaire, les raisons de leur construction ont tendance à motiver toutes sortes d’hypothèses. « Les gens ne se demandent pas seulement ‘pourquoi Mark Zuckerberg construit-il un bunker privé contre l’apocalypse à Hawaï ?’, mais aussi ‘que savent les [milliardaires] ? ’ et ‘que va-t-il se passer en 2024 qu’ils ne nous disent pas ? ’ », ont écrit dans un article de The Conversation des experts de l’Université du Queensland.
D’après les plans de leurs constructions, ces grandes fortunes semblent en effet vouloir se préparer à une catastrophe mondiale. Cependant, selon les experts, la réalité serait beaucoup plus subtile et ambitieuse : la construction d’écosystèmes entièrement autonomes au sein desquels les terres, l’agriculture, les infrastructures et le travail sont tous contrôlés et gérés par une seule personne. Cette vision aurait donc plus d’éléments en commun avec un seigneur féodal qu’avec un capitaliste moderne.
Une tendance vers le féodalisme ?
Dans le système féodal de l’Europe médiévale, le roi possédait la quasi-totalité des biens, que ce soit les terres ou les habitations. Les droits de propriété des habitants dépendaient ainsi de leur relation avec ce roi. Les paysans vivaient et cultivaient généralement sur des terrains concédés par le roi à un seigneur local. Il arrivait même que les outils qu’ils utilisaient ne leur appartinssent pas.
Selon les experts de l’Université de Queensland, ce que font les milliardaires comme Zuckerberg à Hawaï évoque ce féodalisme. Bien que l’homme d’affaires est soupçonné d’avoir joué de ses relations pour obtenir ses terres, la communauté locale a néanmoins accepté son installation et lui a confié la gestion de ses terres. « Il s’agit d’un modèle économique qui mène directement au féodalisme », ont écrit les chercheurs.
La stratégie d’installation de Zuckerberg est ainsi basée sur la coopération avec les locaux. Bien que les terres lui appartiennent désormais, son installation a offert des opportunités d’emploi et de développement économique pour les natifs. En outre, le PDG de Meta et sa femme incluent également des projets de conservation de la biodiversité indigène, ainsi que des fermes de curcuma et de gingembre bio. Dans cette vision, l’écosystème élaboré par Zuckerberg est entièrement autonome et chaque membre y apporte sa contribution (chacun y voyant un intérêt).
En revanche, l’installation de Thiel en Nouvelle-Zélande n’a pas aussi bien été acceptée par les locaux. Le fondateur de PayPal projetait notamment de construire un bâtiment souterrain sophistiqué ressemblant à un bunker et s’étendant sur plus de 73 700 mètres carrés, sur l’île d’Aotearoa. Le projet a été rejeté en raison de conflits d’intérêts avec le conseil local. Les autorités souhaitaient probablement protéger les intérêts des natifs ou autochtones qui, dans de nombreux pays (dont Hawaï), sont souvent exclus de leurs terres ancestrales pour des raisons économiques, telles que l’installation d’individus fortunés.
« Ce qui émerge parmi les milliardaires est plutôt la conviction que la survie ne dépend pas (seulement) du fait de se cacher dans un trou en béton armé creusé dans le sol, mais (aussi) du développement et du contrôle de son propre écosystème », indique le groupe d’analystes.
Par ailleurs, selon les chercheurs, ces grandes fortunes s’engageraient dans de tels projets tout simplement parce qu’ils en ont les moyens. Il serait notamment hâtif de supposer que ces personnes construisent de vastes complexes autonomes et sécurisés parce qu’elles possèdent des informations secrètes. D’autre part, on pourrait également y voir un objectif de diversification du portefeuille d’investissement…