L’essor de la biologie de synthèse a vu le développement des organoïdes, des structures multi-cellulaires développées en laboratoire, reproduisant l’anatomie et la physiologie de certains organes humains. Bien qu’ils soient extrêmement utiles pour étudier le fonctionnement des véritables organes, des craintes aujourd’hui s’élèvent concernant les mini-cerveaux, des organoïdes cérébraux utilisés en neurosciences. Avec la sophistication croissante des mini-cerveaux, certains neurbiologistes s’interrogent aujourd’hui sur la possibilité qu’ils finissent par développer une conscience et une sensibilité, nécessitant l’introduction de nouvelles règles éthiques sur leur utilisation.
Les mini-cerveaux, également appelés organoïdes, sont devenus ces dernières années une ressource extrêmement importante en neurosciences. Mais si ces analogues développés en laboratoire à partir de cellules souches ne sont pas techniquement considérés comme des organes humains ou animaux, ils deviennent suffisamment proches du point de vue fonctionnel pour justifier d’importants problèmes éthiques — voire même une interdiction totale de leur utilisation, selon certains neuroscientifiques.
Lors du Neuroscience 2019, le plus important congrès de neurosciences du monde, une équipe dirigée par des chercheurs du Green Neuroscience Laboratory de San Diego a expliqué pourquoi il est urgent que les biologistes élaborent un ensemble de critères définissant la sentience (sensibilité/conscience suffisante pour éprouver subjectivement son environnement), de sorte que les recherches futures utilisant des mini-cerveaux et des cultures de cellules souches puissent être liées par un ensemble de règles éthiques.
« Les caractéristiques de composition et de causalité de ces cultures sont — par conception — souvent très similaires aux substrats neuronaux naturels. Les développements récents dans la recherche sur les organoïdes impliquent également que les substrats anatomiques se rapprochent maintenant de l’organisation du réseau local et de structures plus grandes trouvées chez les animaux sensibles » expliquent les auteurs.
Mini-cerveaux : des organoïdes pour mieux comprendre le fonctionnement complexe du cerveau humain
Ces dernières années, les scientifiques ont fait la promotion des mini-cerveaux en tant que solution de rechange économique et pratique à l’expérimentation animale. Les progrès réalisés dans le développement des cellules souches aident les neurobiologistes à comprendre comment imiter les sous-types neuronaux complexes des tissus cérébraux humains.
Les mini-cerveaux cultivés ont permis aux chercheurs de sonder les différences entre les humains et les chimpanzés, et le rythme rapide avec lequel le domaine évolue est impressionnant.
En mars, les scientifiques ont développé un mini-cerveau — dont la complexité serait comparable à celle d’un cerveau de fœtus humain de 12 à 13 semaines — et, dans le cadre de leur expérience modèle, il s’est spontanément connecté à une moelle épinière et à un tissu musculaire proches. Quelques mois plus tard, dans une expérience séparée, les chercheurs ont détecté une activité électrique présentée par des organoïdes, qui ressemblait étrangement aux ondes cérébrales humaines.
La transition possible vers des mini-cerveaux dotés de conscience et de sensibilité
Alors que les équipes scientifiques à l’origine de ces réalisations s’aperçoivent généralement que les organoïdes que nous sommes capables de développer sont bien loin de montrer la sophistication neurale des cerveaux humains et animaux, les modèles informatiques de Ohayon et de son équipe suggèrent que nous nous rapprochons à grand pas de mini-cerveaux doués de conscience et de sensibilité.
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« Les recherches actuelles sur les organoïdes sont dangereusement proches du franchissement de ce Rubicon éthique, et l’ont peut-être déjà fait. Malgré la perception du terrain selon laquelle la complexité et la diversité des éléments cellulaires in vivo restent inégalées par les organoïdes actuels, les cultures actuelles sont déjà isomorphes par rapport à la structure et à l’activité du cerveau sensible dans des domaines critiques, et peuvent donc être capables de supporter l’activité et le comportement sensibles » déclarent les chercheurs.
La nécessité d’adopter des principes éthiques pour protéger les organoïdes cérébraux
Le Green Neuroscience Laboratory est dirigé par Elan Ohayon et Ann Lam, deux neuroscientifiques qui ont élaboré une « feuille de route pour une nouvelle neuroscience » : un ensemble de principes éthiques fondamentaux pour la recherche, conçus pour exclure les « méthodologies toxiques », l’expérimentation animale et les méthodes qui portent atteinte aux droits, à la vie privée et à l’autonomie d’un individu.
De leur point de vue, le degré de sophistication dans la recherche actuelle sur les mini-cerveaux signifie que nous devrions offrir les mêmes types de protection aux organoïdes primitifs, qui pourraient être suffisamment complexes pour avoir des pensées et des sensations. Mais ils ne sont pas les seuls scientifiques à faire preuve de tels scrupules. Dans une étude publiée ce mois-ci, des neuroscientifiques de l’université de Pennsylvanie ont expliqué pourquoi ce domaine nécessitait des directives, notamment dans le cadre d’expériences de transplantation d’organoïdes cultivés en laboratoire dans des organismes hôtes.
« Le domaine évolue rapidement et les chercheurs doivent contribuer à la création de principes éthiques fondés sur des principes scientifiques qui définissent la manière d’aborder leur utilisation avant et après la transplantation chez les animaux. Alors que les organoïdes cérébraux et les hôtes organoïdes cérébraux actuels ne parviennent pas à atteindre un niveau de conscience de soi, il est sage de comprendre les considérations éthiques pertinentes afin d’éviter les pièges potentiels qui pourraient survenir, à mesure que cette technologie progressera » conclut le neurochirurgien Isaac Chen.