Quels sont donc les mécanismes complexes de notre cerveau qui nous permettent de développer des capacités cognitives ? Vaste question, à laquelle a pourtant décidé de s’attaquer, une fois de plus, un groupe de chercheurs. Ces derniers ont créé un modèle informatique qui reproduit trois niveaux d’acquisition de compétences cognitives. Une étape clef pour mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau, mais aussi pour espérer un jour aboutir à la création d’intelligences artificielles « conscientes ».
« Plusieurs mécanismes neuronaux ont été proposés pour rendre compte de la formation des capacités cognitives à travers les interactions postnatales avec l’environnement physique et socioculturel », expliquent les scientifiques de l’Institut Pasteur, en guise d’introduction à leurs travaux. Ceux-ci ont été publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Science.
Ils ont créé un modèle informatique supposé reproduire des mécanismes clefs du cerveau. Le modèle couvre trois mécanismes clefs, trois niveaux : le niveau sensorimoteur, cognitif et conscient.
- Le niveau sensorimoteur explore la façon dont l’activité interne du cerveau peut acquérir des modèles à partir de la perception, et les associer à des actions. En l’occurrence, ils ont assigné à leur modèle une tâche de classification visuelle.
- Le niveau cognitif examine la façon dont le cerveau peut combiner, synthétiser de façon globale ces schémas en fonction du contexte, mais « toujours d’une manière inconsciente », précisent les scientifiques.
- Le niveau conscient, enfin, fait référence à la façon dont le cerveau se dissocie du monde extérieur et manipule, via la mémoire, des schémas appris qui ne sont plus accessibles à la perception.
Décoder les mécanismes de cognition
Leur modèle couvre donc tout un parcours cognitif, allant « de la reconnaissance visuelle à la manipulation cognitive et au maintien des perceptions conscientes ». Leurs résultats ont mis en évidence deux mécanismes fondamentaux, selon eux, pour le développement à plusieurs niveaux des capacités cognitives des réseaux neuronaux biologiques — autrement dit, notre cerveau.
L’épigenèse synaptique est le premier mécanisme. Il s’agit de l’association d’un apprentissage dit « hebbien » à une mécanique d’apprentissage par renforcement. L’apprentissage hebbien, nommé en hommage au scientifique Donald Hebb, se base, en résumé, sur la répétition statistique. L’apprentissage par renforcement est associé à une logique de « récompense ». Le deuxième mécanisme, décrivent les scientifiques, est une « dynamique auto-organisée, par l’activité spontanée et le rapport excitateur/inhibiteur équilibré des neurones ».
« Notre modèle démontre comment la convergence neuro-IA met en évidence les mécanismes biologiques et les architectures cognitives qui peuvent alimenter le développement de la prochaine génération d’intelligences artificielles et même finalement conduire à la conscience artificielle », déclare Guillaume Dumas, membre de l’équipe, professeur adjoint de psychiatrie computationnelle à l’Université de Montréal et chercheur principal au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, dans des propos rapportés par SciTechDaily.
Les scientifiques se sont intéressés à la conscience artificielle, mais en prenant le problème à rebours. Reprenons la notion du « test de Turing ». Il s’agit d’une proposition de test supposé déterminer si une machine est « intelligente », à travers une série de questions. « D’un point de vue purement pragmatique, le test de Turing repose uniquement sur l’incapacité des juges à dire si l’agent est un humain ou une machine », soulignent les scientifiques. « Nous avons choisi d’aborder le problème d’une autre manière, en fondant l’architecture cognitive sur la neurobiologie et, à partir de là, en construisant le modèle le plus parcimonieux et le plus réaliste capable de résoudre à la fois des tâches perceptives et conscientes. Cela a permis de délimiter les mécanismes biologiques nécessaires et suffisants pour les capacités cognitives dans un réseau de neurones artificiels, en particulier pour atteindre la conscience artificielle ».
De futurs travaux devront porter, expliquent-ils, sur l’étude de nombreux autres mécanismes à l’œuvre dans notre cerveau. La dimension sociale de la cognition devrait aussi être explorée si l’on doit vraiment aboutir un jour à une « conscience artificielle ».