Pour lutter contre le SARS-CoV-2, les laboratoires Pfizer-BioNTech et Moderna ont tous deux développé des vaccins dits à ARN messager ; pour rappel, le principe de ces vaccins est d’inciter les cellules de l’organisme à fabriquer le composant (une protéine virale) contre lequel l’organisme doit apprendre à se défendre. En parallèle, Moderna a mis au point un autre vaccin à ARNm contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et s’apprête à débuter ses essais cliniques. S’il s’avère efficace, ce sera peut-être bientôt la fin d’une pandémie qui dure depuis près de 40 ans.
Il est a priori plus « facile » de se protéger contre le VIH que contre la COVID-19 ; en effet, le virus du VIH ne se transmet que par le sang, le sperme, les sécrétions vaginales et le lait maternel. Mais depuis le premier cas identifié en 1981, il a tout de même causé la mort de près de 33 millions de personnes dans le monde. Il existe aujourd’hui des traitements antirétroviraux efficaces, qui réduisent la transmission, limitent la réplication du virus et améliorent la qualité de vie des personnes infectées.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, on estimait à 38 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH à la fin de 2019. À ce jour, il n’existe cependant aucun traitement permettant d’éliminer le virus ni aucun vaccin. Le produit formulé par Moderna est donc un nouvel espoir d’éradiquer définitivement le sida. C’est également l’opportunité de confirmer que la technologie à ARNm peut véritablement aider l’humanité à lutter contre de nombreux virus.
La quête des « anticorps largement neutralisants »
Malgré des décennies de recherche, aucun vaccin n’a permis d’initier une réponse immunitaire efficace contre le VIH. Ce dernier est connu pour être l’un des virus les plus difficiles à cibler avec un vaccin, notamment parce qu’il évolue constamment en différentes souches pour échapper au système immunitaire. Cela fait plusieurs années que les scientifiques étudient le potentiel des vaccins à ARNm ; pourtant, aucun n’avait jamais été utilisé sur l’Homme avant ceux développés par Pfizer et Moderna pour lutter contre la pandémie de coronavirus.
Ce vaccin anti-VIH fonctionne exactement comme celui contre la COVID-19, nommé Spikevax : il s’agit d’apprendre à l’organisme à se défendre contre une protéine typique du VIH. Deux versions du candidat vaccin seront testées : mRNA-1644 et mRNA-1644v2-Core. Selon le registre des essais cliniques des National Institutes of Health des États-Unis, les participants seront répartis en quatre groupes : deux groupes recevront l’une ou l’autre version, tandis qu’un mélange des deux formules sera administré aux deux autres groupes.
Les essais de phase 1 doivent commencer aujourd’hui, le 19 août. Comme pour tout nouveau traitement, cette première phase vise uniquement à tester l’innocuité du vaccin sur un groupe relativement restreint (56 volontaires, âgés de 18 à 50 ans, en bonne santé et non infectés par le virus) et à vérifier que le produit déclenche bien une réponse immunitaire de base. Ainsi, il ne s’agit pas d’un essai dit « à l’aveugle » : chaque participant sait exactement ce qu’on lui injecte. Cette première phase durera environ 10 mois, après quoi le vaccin candidat devra encore passer les phases 2 et 3, visant à évaluer et confirmer son efficacité thérapeutique, la posologie la plus adaptée et identifier les éventuels effets secondaires au sein d’un grand groupe de personnes.
Ce vaccin a été conçu de manière à « induire des classes spécifiques de réponses des cellules B et guider leur maturation précoce vers le développement d’anticorps largement neutralisants (bNAb) » peut-on lire dans la description de l’essai. En effet, ces anticorps sont en quelque sorte considérés comme « le Saint Graal » dans la recherche autour du VIH. Et pour cause : ils ont la capacité de cibler les épitopes conservés par le virus au fur et à mesure de ces mutations ; en d’autres termes, ils sont capables de neutraliser plusieurs souches virales du VIH. De tels anticorps largement neutralisants ont déjà été trouvés pour les virus de la grippe ou de l’hépatite C par exemple ; mais ils sont très rares chez les patients porteurs du VIH.
Une technologie qui pourrait aider à prévenir de nombreux virus
Un autre vaccin candidat, mis au point par l’International AIDS Vaccine Initiative et Scripps Research, a été testé plus tôt cette année. Les essais de phase 1 ont montré que ce vaccin permettait de stimuler la production de cellules B spécifiques, capables d’initier la production de bNAb ; bien qu’insuffisante pour empêcher l’infection, la réponse attendue — à savoir la stimulation précoce des cellules B — a été détectée chez 97% des participants qui ont reçu le vaccin.
« Pour induire des bNAb, vous devez démarrer le processus en déclenchant les bonnes cellules B — des cellules qui ont des propriétés spéciales leur donnant le potentiel de se développer en cellules sécrétant des bNAb », expliquait à l’époque l’immunologiste William Schief, qui a dirigé l’équipe de Scripps Research. Ce vaccin n’était pas de type ARNm, mais les essais ont montré que l’immunogène qu’il contenait était capable de stimuler les bonnes cellules B. Or, ce même immunogène entre dans la composition du vaccin nouvellement développé par Moderna.
Ainsi, il se pourrait que le vaccin candidat de Moderna entraîne une production de bNAb suffisante pour lutter contre une infection par le VIH. Si c’est un succès, la technique pourrait être appliquée à bien d’autres virus, tels que ceux de la grippe ou les herpèsvirus. Dans un récent communiqué de presse, la société a par ailleurs déclaré qu’elle travaillait actuellement sur 23 programmes de développement d’ARNm, dont 15 sont entrés dans des études cliniques. Parmi ces projets : un vaccin contre le cytomégalovirus, contre le virus d’Epstein-Barr, contre le virus Zika et contre le virus respiratoire syncytial ; un deuxième vaccin anti-VIH (nommé ARNm-1574) est également en cours d’évaluation.