L’exposition au plomb chez les aigles et pygargues américains, en particulier le pygargue à tête blanche — l’emblème du pays — et l’aigle royal, n’est pas un phénomène récent. Depuis plusieurs décennies, les scientifiques savent que ces oiseaux sont menacés d’empoisonnement, du fait qu’ils ingèrent des fragments de balles enfouis dans les restes d’animaux chassés dont ils se nourrissent. Une étude publiée dans la revue Science apporte pour la première fois une évaluation chiffrée des conséquences : sur plus de 1200 aigles et pygargues, près de la moitié présentaient des signes d’empoisonnement chronique au plomb. Une situation qui pourrait largement impacter ces deux genres, voire entraîner la disparition rapide de certaines espèces.
Depuis le milieu des années 1900, des efforts ont été déployés pour limiter les sources anthropiques de plomb dans l’environnement. Malgré les progrès réalisés pour préserver la santé de l’Homme, le plomb demeure une menace sous-estimée pour la faune.
Pour abattre leurs cibles, la plupart des chasseurs utilisent en effet des balles en plomb, qui se fragmentent en de très nombreux morceaux dans le corps du gibier. Et lorsque d’autres animaux se nourrissent des restes, ils ingèrent accidentellement ce métal toxique. « Il suffit d’un minuscule fragment, quelque chose de la taille d’une tête d’épingle, pour tuer un aigle », précise à Insider Todd Katzner, chercheur en biologie de la faune à l’US Geological Survey et co-auteur de l’étude.
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Comme pour l’Homme, le plomb, même à faible dose, est hautement toxique pour les animaux. Les oiseaux exposés de manière chronique ou répétée à ce métal peuvent développer des lésions, une faiblesse musculaire ou des convulsions et une paralysie. Mais cet empoisonnement a aussi un impact notable sur la capacité de reproduction de ces oiseaux, notent les chercheurs. « La modélisation démographique a suggéré que ces niveaux sont suffisamment élevés pour supprimer la croissance de la population chez les deux espèces », écrivent-ils dans leur document.
Près de 50% d’aigles et pygargues atteints de saturnisme chronique
Une équipe composée de scientifiques de l’US Geological Survey, de l’organisation Conservation Science Global, Inc. et de l’US Fish and Wildlife Service, a entrepris d’évaluer le niveau d’exposition au plomb chez les pygargues à tête blanche et les aigles royaux de 2010 à 2018. L’échantillon étudié se composait de 1210 oiseaux provenant de 38 États américains à travers l’Amérique du Nord, dont 620 aigles vivants. Quelques études antérieures se sont focalisées sur de plus faibles populations d’aigles et pygargues, à l’échelle locale ou régionale. C’est la première fois qu’une étude précise les conséquences de l’empoisonnement au plomb à si grande échelle.
Et les résultats ne sont guère réjouissants. L’équipe rapporte « des fréquences étonnamment élevées de saturnisme chez les aigles et les pygargues » : 46 à 47% des individus des deux genres présentaient une intoxication chronique au plomb selon les mesures relevées dans les os, tandis que 27 à 33% des pygargues à tête blanche et 7 à 35% des aigles royaux présentaient une intoxication aiguë, selon les mesures relevées dans le foie, le sang et les plumes.
Les chercheurs ont par ailleurs estimé que cet empoisonnement ralentissait la croissance démographique annuelle des pygargues à tête blanche d’environ 4% et des aigles royaux d’environ 1%. Sur une période de 20 ans, ce sont « des milliers et des milliers » d’aigles et de pygargues qui sont retirés de la population, avertit Katzner.
La population d’aigles royaux menacée de déclin
Autrefois considéré comme une espèce menacée — par l’Homme et par l’épandage massif de produits organochlorés —, le pygargue à tête blanche a été retiré de la liste des espèces en danger en 2007 (et fait désormais partie de la catégorie « préoccupation mineure » dans la Liste rouge de l’IUCN). On recense aujourd’hui environ 317 000 individus aux États-Unis et la population augmente de 10% par an.
En revanche, si elle n’est pas encore en voie de disparition, la population américaine d’aigles royaux, beaucoup plus petite — avec environ 30 000 oiseaux — est menacée par le phénomène. « La population de l’aigle royal n’est pas aussi stable et toute mortalité supplémentaire pourrait la faire basculer vers un déclin », a déclaré dans un communiqué Brian Millsap, coordinateur national des rapaces de l’US Fish and Wildlife Service et co-auteur de l’étude.
L’étude a montré que l’exposition au plomb à court terme était plus fréquente pendant les mois d’hiver. En effet, à cette période de l’année, les proies vivantes habituelles (poissons, écureuils, etc.) se font plus rares et les aigles se nourrissent essentiellement de restes d’animaux morts, abattus par les chasseurs. Sans surprise, la fréquence de l’empoisonnement chronique au plomb augmente avec l’âge chez les deux espèces, car au fil du temps, les expositions se multiplient, le plomb est assimilé par l’organisme et se fixe sur les os.
Le California Department of Fish and Wildlife exige déjà des chasseurs qu’ils utilisent des munitions sans plomb. Les chercheurs espèrent aujourd’hui que leur étude incitera tous les chasseurs à abandonner d’eux-mêmes les balles en plomb au profit de balles en cuivre.