Cerveau : découverte d’une molécule agissant comme une colle « cimentant » les souvenirs à long terme

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| Getty Images
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Des chercheurs ont identifié une molécule agissant comme une colle « cimentant » les souvenirs à long terme dans le cerveau. Appelée KIBRA, elle se fixe notamment à une autre molécule, la protéine « kinase Mzeta » (PKMzeta). Ce duo permet de renforcer durablement et de manière spécifique les synapses responsables de la mémoire à long terme. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à de meilleurs traitements pour les maladies affectant la mémoire.

La potentialisation à long terme (PLT), le phénomène responsable du stockage de la mémoire, est basée sur le renforcement sélectif des synapses (les structures connectant les neurones les uns aux autres) dites « fortes ». La connectivité entre ces synapses est déterminante pour le fonctionnement des réseaux neuronaux régissant la mémorisation à long terme. Il est établi depuis longtemps que ce processus est à l’origine des souvenirs qui persistent pendant plusieurs années, voire des décennies.

Il a été suggéré que la PKMzeta est l’une des principales molécules sous-tendant la PLT. Des expériences sur des modèles murins ont en effet montré que son inhibition efface les souvenirs des lieux. L’augmentation de sa concentration favorise en revanche le maintien de la PLT. Cette augmentation persiste pendant plusieurs semaines au niveau des neurones de l’hippocampe, une région essentielle à la cognition, la mémoire spatiale et l’apprentissage.

Cependant, les molécules échangées entre les synapses ont généralement une très courte durée de vie, allant de quelques heures à quelques jours, ce qui ne concorde pas avec la persistance des souvenirs pendant des années. La manière dont la PKMzeta régit la mémoire à long terme demeurait donc jusqu’à présent un mystère. D’autre part, la PLT est basée sur le renforcement de synapses spécifiques et on ne savait, pas jusqu’ici, comment la PKMzeta s’y fixe sélectivement.

La nouvelle étude, codirigée par l’Université de New York, comble ces lacunes en identifiant la molécule responsable de la sélectivité de la PKMzeta. Selon Todd Sacktor, coauteur principal de la recherche, « ce n’est pas la PKMzeta qui est nécessaire au maintien d’un souvenir, c’est l’interaction continue entre la PKMzeta et cette molécule de ciblage, appelée KIBRA ». Alors que les travaux précédents se concentraient généralement sur les effets de molécules individuelles, « notre étude montre comment elles travaillent ensemble pour assurer le stockage perpétuel de la mémoire », ajoute dans un communiqué son collègue André Fenton.

kibra pkmzeta
Les souvenirs sont stockés par l’interaction de deux protéines : une protéine structurelle, KIBRA (en vert), qui agit comme une étiquette synaptique persistante, et une enzyme renforçant les synapses, la protéine kinase Mzeta (en rouge). © Changchi Hsieh et al.

Un marqueur permanent permettant de préserver la mémoire à long terme

La molécule KIBRA est une protéine exprimée au niveau des reins et du cerveau. Chez les humains, ses variantes génétiques sont à la fois associées à une bonne et une mauvaise mémoire. Les chercheurs ont alors supposé que son interaction avec d’autres molécules comme la PKMzeta pourrait être impliquée dans des fonctions mémorielles clés.

Leurs expériences — décrites dans la revue Science Advances — sur des modèles murins ont montré que la KIBRA agit effectivement comme une étiquette ou une colle marquant les synapses « fortes » et permettant à PKMzeta de s’y lier de manière sélective. Même si ces molécules ont une courte durée de vie, ce marquage persiste et permet à d’autres molécules KIBRA-PKMzeta nouvellement formées de se fixer aux synapses fortes.

Plus précisément, dans une expérience, l’inhibition de la liaison entre les deux molécules a effacé des souvenirs datant d’un mois et perturbé la mémoire spatiale chez des souris. En revanche, une fois le marquage établi, les molécules individuelles sont renouvelées en permanence et se lient entre elles pour établir une mémorisation à long terme.

Selon Fenton, « le mécanisme de marquage synaptique persistant explique pour la première fois ces résultats qui sont cliniquement pertinents pour les troubles neurologiques et psychiatriques de la mémoire ». Explorer ce lien pourrait aider à orienter les efforts de recherche de traitement pour ces maladies.

memoire long terme
Une forte stimulation synaptique facilite la formation de complexes KIBRA-PKMζ persistants lors de la maintenance tardive du PLT. (A) Schéma du PLA montrant les complexes KIBRA-PKMζ détectés par formation d’ADN circulaire, qui est amplifié et visualisé avec une sonde fluorescente. (B) Augmentations persistantes des complexes KIBRA-PKMζ 3 heures après la tétanisation dans une tranche de stratum radiatum de la région CA1 de l’hippocampe de souris (le stratum radiatum contient les synapses qui sont potentialisées dans le modèle PLT). (C) Images représentatives des complexes KIBRA-PKMζ dans les dendrites de stratum radiatum en contrôle et maintenance PLT tardive. © Panayiotis Tsokas et al.

Une molécule ayant progressivement évolué chez l’humain

Ces résultats aident également à expliquer les observations contradictoires des précédentes études. Ces dernières ont notamment montré que les souris génétiquement modifiées pour ne pas exprimer PKMzeta pouvaient tout de même former des souvenirs à long terme. Les experts de la nouvelle étude ont suggéré qu’une autre molécule apparentée appelée PKCiota/lambda a pris le relais pour assurer les fonctions de PKMzeta. Alors que cette molécule est naturellement présente en petite quantité chez les souris non modifiées génétiquement, sa concentration a considérablement augmenté chez celles transgéniques.

En inhibant le couplage PKMzeta-KIBRA avec deux molécules différentes, les chercheurs ont constaté qu’elles n’avaient aucun effet sur le couplage PKCiota/lambda-KIBRA. Les molécules ont perturbé la PLT chez les souris normales, mais n’avaient aucun effet sur celles génétiquement modifiées pour ne pas exprimer PKMzeta. Les experts suggèrent que la PKCiota/lambda pourrait être un vestige évolutif qui a été progressivement supplanté par PKMzeta, qui est plus efficace.

Par ailleurs, de précédents travaux ont montré que l’augmentation non spécifique de PKMzeta améliorait la préservation des souvenirs à long terme. Ce qui est étrange, car le renforcement synaptique non spécifique devrait logiquement affaiblir la PLT et non la renforcer. Les chercheurs de la nouvelle étude en ont déduit que cela est dû au marquage synaptique persistant par KIBRA, qui guide le PKMzeta supplémentaire vers les bonnes synapses.

Toutefois, d’autres questions demeurent sans réponse, comme celles concernant des types très spécifiques de mémoire, tels que celle associant un lieu à la peur, et qui ne dépend pas de PKMzeta. Néanmoins, « une possibilité intrigante est qu’il existe peut-être une logique moléculaire de la façon dont on fabrique une mémoire durable qui peut être réalisée de multiples façons avec différents composants », conclut Fenton.

Source : Science Advances

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