En analysant des ondes gravitationnelles émises par une source située à près de 10 milliards d’années-lumière, des chercheurs ont détecté la fusion de deux trous noirs, chacun plus de 100 fois plus massif que le Soleil, donnant naissance à un trou noir encore plus colossal. Il s’agit de l’événement de fusion de trous noirs le plus massif jamais observé, repoussant les limites des technologies de détection et des modèles théoriques actuels.
Les trous noirs naissent de l’effondrement gravitationnel d’étoiles massives lorsqu’elles ont épuisé leur combustible thermonucléaire. Ces objets sont si denses qu’ils déforment l’espace-temps autour d’eux, engendrant des ondes gravitationnelles détectables depuis la Terre.
Avant la construction des détecteurs d’ondes gravitationnelles dans les années 1990, les trous noirs ne pouvaient être observés que par le biais de rayonnements électromagnétiques, infrarouges ou radio qu’ils émettent. Ces méthodes restaient cependant limitées et ne permettaient pas de saisir pleinement les processus physiques régissant ces objets extrêmes.
Les détecteurs d’ondes gravitationnelles, comme la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA (LVK), offrent aujourd’hui des perspectives inédites. Cette collaboration associe les détecteurs LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory), aux États-Unis, Virgo, en Italie, et KAGRA (Kamioka Gravitational Wave Detector), au Japon, pour repérer les distorsions de l’espace-temps provoquées par des événements cosmiques violents, tels que la fusion de trous noirs. Cette approche a déjà permis de détecter près de 300 fusions de ce type à ce jour.
À l’occasion de la 24e Conférence internationale sur la relativité générale et la gravitation (GR24) et de la 16e Conférence Edoardo Amaldi sur les ondes gravitationnelles (connues sous l’appellation combinée de « réunion GR-Amaldi »), qui se tient à Glasgow jusqu’au 18 juillet, la collaboration LVK présentera GW231123, la fusion de trous noirs la plus massive jamais détectée.
« Il s’agit du binaire de trous noirs le plus massif que nous ayons observé par ondes gravitationnelles, et cela représente un véritable défi pour notre compréhension de la formation des trous noirs », explique dans un communiqué de l’Université de Cardiff, Mark Hannam, membre de la collaboration LIGO. « Des trous noirs aussi massifs sont exclus par les modèles standards d’évolution stellaire : les étoiles ne peuvent pas produire directement des trous noirs de cette taille, car elles perdent trop de masse en explosant en supernova », ajoute-t-il.
Un phénomène exclu des modèles standards
La fusion a été détectée pour la première fois le 23 novembre 2023 vers 15 heures (heure de France), lors de la quatrième campagne d’observation du réseau LVK. Les détecteurs étaient suffisamment sensibles pour capter les signaux d’ondes gravitationnelles émis par l’événement. Bien qu’ils proviennent d’événements extrêmement violents, ces signaux sont des milliers de fois plus faibles qu’un proton une fois arrivés sur Terre.
« Ce sont les événements les plus violents que nous puissions observer dans l’univers, mais lorsque les signaux atteignent la Terre, ce sont les phénomènes les plus faibles que nous puissions mesurer », explique Hannam au Guardian. Les signaux ont été captés simultanément par deux détecteurs LIGO, basés respectivement à Washington et en Louisiane, et n’ont duré qu’environ un dixième de seconde.
L’analyse des signaux a montré que les deux trous noirs à l’origine de la fusion étaient respectivement 103 et 137 fois plus massifs que le Soleil, donnant naissance à un gigantesque trou noir final de 225 masses solaires. Cette différence par rapport au total initial (240 masses solaires) s’explique par la conversion d’environ 15 masses solaires en énergie sous forme d’ondes gravitationnelles, conformément à la relativité générale. À titre de comparaison, le précédent record était détenu par GW190521, dont la masse finale atteignait « seulement » 140 fois celle du Soleil. Des trous noirs de cette ampleur sont donc exclus des modèles standards d’évolution stellaire.
Au-delà de leur masse, ces trous noirs tournent à une vitesse extrême : leur fréquence angulaire est environ 400 000 fois supérieure à celle de la rotation terrestre (c’est-à-dire qu’ils effectuent des rotations complètes en un laps de temps bien plus court), ce qui frôle la limite théorique fixée par la relativité générale. « Les trous noirs semblent tourner très rapidement, à une vitesse proche de la limite autorisée par la théorie d’Einstein », explique dans un communiqué de l’Université de Portsmouth, Charlie Hoy, également membre de la collaboration LIGO. « Cela rend le signal difficile à modéliser et à interpréter. C’est une excellente étude de cas pour faire progresser le développement de nos outils théoriques », ajoute-t-il.
Ces caractéristiques atypiques laissent entrevoir un scénario de formation complexe. Selon les chercheurs, il est possible que ces deux trous noirs soient eux-mêmes issus de fusions antérieures de trous noirs plus petits. Cela expliquerait à la fois leurs masses et leurs vitesses de rotation élevées, puisque les fusions tendent à ajouter de la vitesse de rotation aux objets résultants.
Les scientifiques poursuivront l’affinement de leurs analyses et de leurs modèles pour mieux cerner les processus à l’origine de cette fusion hors norme. « Bien que l’explication la plus probable reste la fusion de trous noirs, des scénarios plus complexes pourraient permettre de déchiffrer ses caractéristiques inattendues », explique dans un communiqué de l’Université de Birmingham, Gregorio Carullo, également membre de l’équipe. « Il faudra des années à la communauté scientifique pour décrypter pleinement ce schéma complexe de signaux et toutes ses implications », conclut-il.