Le moteur à distorsion « Warp drive », qui permettrait de voyager à des vitesses supraluminiques en déformant localement l’espace-temps, repose sur une théorie de fonctionnement controversée qui implique une quantité colossale d’énergie noire (énergie négative) pour fonctionner. À ce jour, les physiciens ne connaissent pas la véritable nature de l’énergie noire, ni comment la produire ou la stocker. Mais dans une nouvelle étude, des chercheurs proposent un nouveau schéma de fonctionnement ne nécessitant pas de matière ou d’énergie exotique. Ainsi, comme le dispositif n’enfreindrait plus les lois de la physique, sa conception devient théoriquement possible. Mais qu’en est-il dans le « monde réel » ?
Les résultats de la nouvelle étude sont intéressants d’un point de vue physique, énergétique, mais ils soulèvent une nouvelle problématique quant à la faisabilité d’un tel moteur : la nouvelle conception nécessiterait des matériaux ultra-denses, que nous n’avons pas aujourd’hui. Mais ce n’est là qu’une partie du problème.
Pour mieux comprendre tout cela, il convient d’abord de répondre à la question « qu’est-ce qu’un moteur à distorsion ? ». Premièrement, contrairement à ce que son nom peut laisser penser, un moteur à distorsion (Warp drive) n’est pas vraiment un moteur. Il s’agit plutôt d’un dispositif générant une « bulle d’espace-temps » protégée par une enveloppe de matière dont les propriétés fondamentales (à l’intérieur de l’enveloppe) peuvent différer de celles à l’extérieur.
Autrement dit, sans moyen de propulsion supplémentaire, les Warp drive n’est pas censé avancer. Mais, en théorie, avec un tel dispositif et le type de moteur adéquat combiné au Warp drive, le voyage supraluminique (plus rapide que la vitesse de la lumière) devient possible en étirant et en comprimant l’espace-temps autour d’un vaisseau.
Concurrencer l’espace-temps…
« La relativité d’Einstein ne fixe des limites qu’aux choses qui se déplacent dans l’espace-temps, et non à la vitesse de l’espace-temps lui-même », explique Sabine Hossenfelder, de l’Institut des études avancées de Francfort, en Allemagne. « Si vous essayez d’atteindre une certaine vitesse en déformant l’espace-temps, cette limite peut, en principe, être dépassée ».
La première méthode suggérée pour y parvenir a été proposée par Miguel Alcubierre en 1994, mais elle nécessiterait une quantité colossale d’énergie noire (énergie négative), plutôt que l’énergie positive dont dispose la matière ordinaire. Mais pour le moment, il n’existe aucune preuve de l’existence d’une telle énergie, et surtout aucun moyen d’en créer. Dans une nouvelle étude, des chercheurs exposent un nouveau modèle théorique pouvant rendre un tel dispositif théoriquement réalisable, bien que dans un avenir très lointain…
C’est pourquoi Alexey Bobrick et Gianni Martire de l’Applied Physics de New York, un institut de recherche indépendant, ont proposé une modification qui permet de faire fonctionner un moteur à distorsion avec très peu d’énergie noire, ou avec de la matière et de l’énergie ordinaires pour la version moins rapide. Cependant, comme cette dernière n’utiliserait pas d’énergie négative, une telle conception ne peut pas surpasser la vitesse de la lumière, mais ses effets sur l’espace-temps pourraient tout de même la rendre très utile pour les longs voyages spatiaux. Les détails ont été publiés dans la revue Classical and Quantum Gravity.
Moins rapide, mais plus proche de la réalité
L’idée du Warp drive est basée sur le fait qu’en présence de puissants champs gravitationnels, l’écoulement du temps semble se ralentir en raison des effets de la relativité générale. Avec un moteur à distorsion, cet effet pourrait permettre à une personne à l’intérieur d’une coquille de matière de parcourir d’énormes distances en un temps qui, de leur point de vue, serait relativement court.
L’intensité de cet effet dépend de la masse de l’enveloppe spatiotemporelle — plus elle est massive, plus le temps s’écoule lentement à l’intérieur (par rapport à l’extérieur). « Dans un sens, un burrito est un moteur de distorsion, avec le contenu comme passager, mais ce n’est pas très intéressant », explique Bobrick. C’est parce que l’effet gravitationnel d’une tortilla, utilisée pour emballer le contenu du burrito, est négligeable. Il ne déforme pas l’espace-temps, et donc le contenu se déplace dans le temps de façon normale. Même si la tortilla utilisée pour fabriquer le burrito était extrêmement massive, cela changerait tout… Concernant la forme du dispositif gravitationnel, l’équipe a trouvé qu’une forme plate et circulaire serait la plus efficace, avec le plus grand côté tourné vers l’avant.
« Nous présentons le premier modèle général de Warp drive à énergie positive, à symétrie sphérique ; nous présentons des solutions d’entraînement supraluminique qui satisfont les inégalités quantiques ; nous fournissons des optimisations pour la métrique d’Alcubierre qui réduisent les besoins en énergie négative de deux ordres de grandeur ; et nous introduisons une modification de l’espace-temps dans laquelle la capacité spatiale et l’écoulement du temps peuvent être choisis de manière contrôlée », écrivent les chercheurs dans l’étude.
Cependant, la masse requise pour un effet mesurable est colossale, plus élevée que celle d’une planète entière. « Si nous prenons la masse de la Terre et la comprimons en une coquille de 10 mètres de diamètre, la correction du temps à l’intérieur de celle-ci serait encore très faible, à peine une heure de plus sur une année », explique Bobrick.
Ainsi, un véritable moteur à distorsion, même minuscule, relève aujourd’hui de la science-fiction. « Les densités auxquelles il faut parvenir pour que cela soit mesurable sont si élevées que nous ne pouvons pas les produire actuellement. Ce n’est pas quelque chose qui sera faisable dans les prochains siècles », déclare Hossenfelder. « Mais peut-être que nous y arriverons un jour ».