Les munitions de la Seconde Guerre mondiale larguées dans la mer Baltique abritent une biodiversité plus importante que les sédiments environnants, révèle une étude. Cela suggère que certains organismes marins peuvent tolérer des niveaux élevés de composés toxiques lorsqu’ils disposent d’une surface dure pour s’accrocher. À ces observations s’ajoutent celles d’une étude indépendante révélant que les épaves de la Première Guerre mondiale fournissent des habitats à une faune et une flore insoupçonnée.
Avant la signature de la Convention de Londres de 1972 concernant la prévention de la pollution marine, les munitions inutilisées lors des guerres mondiales étaient éliminées en les larguant en mer. Cela a contaminé les zones côtières de nombreux pays. La quantité de munitions rejetée dans la zone économique allemande est par exemple estimée à 1,6 million de tonnes. Ces rejets proviennent principalement de la campagne de démilitarisation de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale.
Plusieurs sites de décharge ont également été signalés dans la baie de Lübeck (en mer Baltique), notamment « Haffkrug » dans la partie occidentale et « Pelzerhaken » dans la partie centrale. De récentes cartographies ont cependant montré que de nombreuses munitions sont retrouvées en dehors de ces zones. Cela a donné lieu à des inquiétudes quant aux impacts sur la vie marine.
Les munitions conventionnelles contiennent principalement des explosifs solides de type 2,4,6-trinitrotoluène (TNT), qui présentent différents degrés de toxicité pour les organismes marins. D’importants niveaux de stress oxydatif ont par exemple été observés chez les moules communes (Mytilus edulis) exposées aux explosifs. D’autres études font état d’une altération de la stabilité membranaire des lysosomes, les organites responsables de la digestion intracellulaire.
Cependant, si la toxicité des munitions constitue une menace évidente pour la vie marine de la mer Baltique, aucune influence claire des concentrations de munition n’a été démontrée à l’échelle de l’écosystème. Une équipe codirigée par l’Institut de chimie et de biologie du milieu marin de l’Université Carl von Ossietzky, en Allemagne, a exploré la question en effectuant une campagne d’observation sous-marine dans la mer Baltique.
Des avantages l’emportant sur la toxicité des explosifs
L’équipe de recherche a utilisé un submersible télécommandé pour explorer un site de décharge de munitions récemment découvert dans la baie de Lübeck, en octobre 2024. Ils ont capturé des images des munitions et analysé des échantillons d’eau prélevés au niveau du site. « La structure et la composition de l’épifaune ont été étudiées sur les munitions déversées dans la baie de Lübeck (mer Baltique), dans la zone présentant des conditions hypoxiques régulières, à l’aide d’un véhicule télécommandé (ROV) », écrivent les chercheurs dans leur étude. Les zones sédimentaires à proximité ont également été analysées à des fins de comparaison.
Les chercheurs ont identifié des munitions de type ogives V-1, issues des bombes volantes utilisées par l’Allemagne nazie à la fin de la Seconde Guerre mondiale, considérées comme les premiers missiles de croisière opérationnels. De manière étonnante, la vie marine était significativement plus abondante et plus diversifiée au niveau de ces ogives par rapport aux zones sédimentaires. La densité moyenne était de 43 184 organismes par mètre carré sur les ogives, contre 8 213 dans les zones sédimentaires. Cette densité d’organismes accrochés aux munitions est comparable à celle observée au niveau des surfaces dures naturelles.
Or, les analyses chimiques – détaillées dans l’étude publiée dans la revue Communications Earth & Environment – de l’eau échantillonnée directement à proximité de plusieurs ogives ont révélé de fortes concentrations de composés explosifs. Les niveaux de TNT atteignaient 2,73 mg/l, ce qui est proche du seuil de toxicité que peuvent tolérer les organismes aquatiques.

D’après les chercheurs, l’abondance d’organismes au niveau des munitions pourrait s’expliquer par le fait que les avantages de vivre sur les surfaces dures l’emportent sur les inconvénients de l’exposition aux produits chimiques. Ces organismes étaient d’ailleurs principalement observés au niveau des douilles plutôt que sur les parties explosives non recouvertes. Cela suggère qu’ils cherchent tout de même à limiter leur exposition aux composés toxiques. Toutefois, leur remplacement par des surfaces dures artificielles plus sûres serait encore plus bénéfique pour l’écosystème local, soulignent les experts.
Des refuges pour la biodiversité
L’étude indépendante, publiée dans la revue Scientific Data, présente une carte photographique haute résolution des 147 épaves des débris surnommés « flotte fantôme » de Mallows Bay, sur le fleuve Potomac, dans le Maryland, aux États-Unis. Construits au cours de la Première Guerre mondiale, ces navires ont été brûlés et coulés à la fin des années 1920.

Les données ont révélé un important retour de la faune et de la flore sauvage, témoignant de l’étonnante capacité d’adaptation de la biodiversité. Une variété d’animaux, tels que les balbuzards pêcheurs (Pandion haliaetus) et l’esturgeon de l’Atlantique (Acipenser oxyrinchus), a été repéré.
L’équipe de recherche, du Duke University Marine Laboratory, a créé une carte avec une résolution moyenne de 3,5 centimètres par pixel de l’ensemble de la flotte, à l’aide de photographies prises avec des drones aériens en 2016. Les experts espèrent que cette carte pourra être utile pour les futures recherches archéologiques, écologiques et culturelles sur la flotte.