L’effet Mozart est un mythe né dans les années 1990, lorsqu’une étude publiée dans Nature a suggéré que l’écoute de la musique du célèbre compositeur pouvait doper les capacités intellectuelles des individus. Même si elle procure plusieurs bienfaits (antistress, amélioration de la concentration), la musique classique n’a en réalité pas ce pouvoir. En revanche, des chercheurs rapportent aujourd’hui que les œuvres de Mozart auraient un effet antiépileptique sur le cerveau.
Une équipe dirigée par le neurologue Ivan Rektor, de la CEITEC Masaryk University, en République tchèque, a comparé les effets de l’écoute de la Sonate pour deux pianos en ré majeur K448 de Mozart, avec les effets engendrés par la Symphonie n°94 de Joseph Haydn. L’activité cérébrale de dix-huit auditeurs (des patients épileptiques candidats à la chirurgie) a été mesurée par des électrodes intracérébrales, implantées dans leur cerveau.
Les résultats de leurs travaux ont été présentés au 7e congrès de l’Académie européenne de neurologie. Il s’avère que les effets provoqués par chacune des deux œuvres musicales étaient totalement différents ; la Sonate de Mozart a eu un impact très positif, avec une réduction de 32% des décharges épileptiformes — des ondes cérébrales électriques associées à l’épilepsie, qui affectent temporairement le fonctionnement du cerveau.
Mozart plus efficace que Haydn dans la prévention des crises
Selon la Fédération française de neurologie, environ 500 000 personnes sont touchées par une forme d’épilepsie en France. Cette maladie neurologique est liée à une activité électrique anormale des cellules nerveuses du cortex cérébral. On distingue les épilepsies généralisées (environ un tiers des cas), où les neurones touchés propagent l’anomalie à l’ensemble du cerveau, et les épilepsies partielles ou focales, qui restent très localisées dans la région cérébrale d’origine.
Les traitements médicamenteux, qui permettent de limiter la fréquence et l’intensité des crises, sont efficaces pour plus de deux tiers des patients, mais 30% des cas sont pharmacorésistants. La chirurgie est alors envisagée ; elle consiste au retrait de la zone cérébrale épileptogène (d’où part l’activité électrique anormale) ou à l’implantation d’électrodes de stimulation. L’étude d’Ivan Rektor et son équipe pourrait toutefois ouvrir la voie à un nouveau type de traitement, beaucoup moins invasif, pour prévenir les crises : l’écoute de musique classique, et en particulier celle composée par Mozart.
Ce qui est particulièrement étonnant dans leur expérience est que Mozart et Haydn n’ont pas du tout eu le même impact sur le cerveau des patients : « Écouter Mozart a entraîné une diminution de 32% des décharges épileptiformes, mais écouter la symphonie No 94 de Haydn a entraîné une augmentation de 45% », résume Rektor. En outre, l’étude a révélé que les hommes et les femmes réagissaient différemment aux deux œuvres musicales : tandis que la symphonie de Haydn a entraîné la diminution des décharges épileptiformes chez les femmes, elle a au contraire provoqué leur augmentation chez les hommes !
L’explication tiendrait dans les propriétés acoustiques de la musique, selon les chercheurs. Le rythme, la mélodie et l’harmonie entraînent des effets différents sur les cerveaux masculins et féminins. « Nous pensons que les caractéristiques physiques acoustiques de la musique de Mozart affectent les oscillations cérébrales — ou les ondes cérébrales — qui sont responsables de la réduction des décharges épileptiformes », expliquent-ils.
Un effet qui repose sur les propriétés acoustiques de la musique
L’analyse acoustique des deux œuvres a révélé que la musique non dissonante, avec un spectre harmonique et un tempo décroissant, intégrant des parties hautes fréquences significatives, avait un effet réducteur sur les décharges épileptiformes chez les hommes. Pour obtenir le même effet chez les femmes, la musique doit en outre être progressivement moins dynamique en matière d’intensité sonore. Or, il se trouve que ces caractéristiques acoustiques sont plus dominantes dans la musique de Mozart que dans la musique de Haydn.
Une autre hypothèse permettant d’expliquer ces résultats reposait sur les émotions procurées par la musique : en effet, lors de l’écoute de musique, de la dopamine est généralement libérée dans le cerveau ; c’est l’un des neurotransmetteurs liés au système de récompense du cerveau, et à la sensation de plaisir. Mais cela ne peut pas être le cas ici, car les patients n’étaient pas vraiment mélomanes, et affirmaient que les deux morceaux de musique proposés ne leur procuraient aucune émotion particulière. Par conséquent, l’œuvre de Mozart ne pouvait pas susciter davantage de plaisir que celle de Haydn.
En outre, aucune preuve scientifique n’a permis de mettre en évidence le potentiel rôle de la dopamine et des émotions. Au contraire, l’équipe a constaté que la réduction des décharges épileptiformes était plus importante dans le lobe temporal latéral — soit la partie du cerveau qui participe à la traduction des signaux acoustiques — que dans la région limbique mésiotemporale, qui elle, joue un rôle majeur dans la réponse émotionnelle à la musique.
Les propriétés acoustiques de la musique semblent donc bel et bien à l’origine du phénomène. Les résultats de cette étude pourraient donc mener au développement de nouvelles thérapies individualisées basées sur la musique pour prévenir et contrôler les crises d’épilepsie. Rektor et son équipe prévoient à présent d’étudier plus largement les effets de la musique sur le cerveau, afin de déterminer précisément quelles propriétés acoustiques sont les plus adaptées au traitement de la maladie.