Une étude révèle que le réseau mycorhizien des champignons peut « reconnaître » et communiquer son emplacement ainsi qu’adapter sa direction de croissance en conséquence. En d’autres termes, plutôt que de s’étendre dans des directions aléatoires, les réseaux mycéliens ciblent des orientations spécifiques en fonction de leurs besoins et de leur position dans l’espace. Cela suggère un processus décisionnel complexe — une forme d’intelligence que l’on pensait auparavant spécifique aux organismes dotés d’un cerveau ou de réseaux neuronaux.
Les comportements cognitifs tels que la prise de décision et la résolution de problèmes chez les organismes dépourvus de cerveau, suscitent un intérêt croissant. Ce domaine de recherche contribue notamment à améliorer notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes biotiques. Cependant, les études sur le sujet se focalisent principalement sur les plantes, tandis que les champignons sont beaucoup moins explorés.
Or, certaines études ont mis au jour des formes de comportement cognitif du mycélium des champignons, de vastes réseaux souterrains de filaments (ou hyphes) pouvant s’étendre sur des kilomètres. Parmi ces comportements figurent la prise de décision basée sur la disponibilité des nutriments, la mémorisation d’expériences passées ainsi que la résolution de labyrinthes. Des expériences ont par exemple montré que le mycélium peut « décider » de suspendre sa croissance vers une direction spécifique dans laquelle il a auparavant subi une perturbation, suggérant ainsi une mémorisation des perturbations passées. Le réseau étendrait également ses filaments en direction d’un appât en fonction de la taille et de la distance (le séparant de) de celui-ci.
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Étant donné que les champignons ne disposent pas de système nerveux central, ces comportements ne sont pas contrôlés de manière centralisée, mais émergeraient plutôt de la connexion synergique entre les extrémités des hyphes, détectant chacun différentes conditions environnementales.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Tohoku et du Nagaoka College (au Japon) a donc émis l’hypothèse selon laquelle le mycélium fongique possède une forme de cognition régie par l’extrémité des hyphes et typique aux organismes dépourvus de cerveau, appelée « cognition basale » ou « cognition minimale ».
« Vous seriez surpris de voir à quel point les champignons sont capables de faire des choses intéressantes », explique dans un communiqué de l’Université de Tohoku Yu Fukasawa, auteur principal de la nouvelle étude. « Ils ont une mémoire, ils apprennent et ils peuvent prendre des décisions. Très franchement, les différences dans la façon dont ils résolvent les problèmes par rapport aux humains sont époustouflantes », indique-t-il.
Une croissance adaptée à la position dans l’espace
Pour explorer leur hypothèse, les chercheurs japonais ont examiné la manière dont le réseau mycélien du Phanerochaete velutina réagissait à deux situations distinctes impliquant des blocs de bois en décomposition disposés en cercle ou en croix. Les blocs ont été placés dans des bacs de terre et trempés dans une solution contenant les spores du champignon pendant 42 jours. Ces derniers ont ensuite été laissés en croissance pendant 116 jours.
L’objectif de l’expérience était de déterminer si le réseau pouvait présenter une forme de reconnaissance spatiale émergeant des interactions entre les extrémités des hyphes et adapter sa croissance en conséquence. Si le mycélium ne présentait pas de cognition basale liée à la prise de décision, il se déploierait de manière aléatoire sans tenir compte de la position des blocs.
Au départ, les hyphes se sont développés vers l’extérieur de chaque bloc pendant 13 jours, sans se connecter les uns aux autres. Après un mois, les réseaux ont gagné en densité, puis ont commencé à former des connexions clairement organisées au 116e jour. Dans la disposition en croix, le degré de connexion était plus élevé au niveau des 4 blocs les plus externes. Les chercheurs suggèrent que ces blocs extérieurs servent « d’avant-postes » pour repérer la direction optimale à suivre (là où il est susceptible d’y avoir le plus de nourriture) pour l’ensemble du réseau, ce qui expliquerait le besoin d’une plus forte densité de connexions.
En revanche, dans la disposition en cercle, la densité de connexions était similaire pour chaque bloc, mais l’extension des hyphes semblait se concentrer principalement vers l’extérieur du cercle. D’après l’équipe, cette différence de croissance suggère que le réseau mycélien ne perçoit pas d’avantage à s’étendre de manière excessive vers une zone déjà bien explorée.
Ces observations confirment l’hypothèse de reconnaissance spatiale avancée par les chercheurs. Elles concordent également avec celles de précédentes études suggérant que les hyphes communiquent des informations sur leur environnement à travers l’ensemble du réseau mycélien et adaptent leur croissance en fonction de ces informations.
Ces résultats — détaillés dans la revue Fungal Ecology — pourraient approfondir notre compréhension de l’évolution des systèmes cognitifs chez différents types d’organismes non cérébraux. Ce domaine de recherche pourrait en outre ouvrir la voie au développement de systèmes informatiques ou robotiques biomimétiques avancés.