Outre son impressionnante taille, son atmosphère extrêmement hostile et son apparence fascinante, Jupiter est également la planète du Système solaire possédant les aurores polaires les plus puissantes et mystérieuses. Cependant, ces dernières sont invisibles à l’oeil nu, car elles sont émises dans des longueurs d’onde telles que les rayons X. De ce fait, elles n’ont été découvertes qu’il y a 40 ans et depuis lors, les scientifiques tentent de comprendre comment ces aurores produisent des salves périodiques de rayonnement X. Récemment, des chercheurs pensent enfin avoir trouvé la réponse.
Grâce aux observations simultanées de la sonde Juno et de l’observatoire spatial XMM-Newton, une équipe dirigée par le planétologue Zhonghua Yao de l’Académie chinoise des sciences en Chine a établi un lien entre les salves de rayons X et les vibrations des lignes de champ magnétique de la géante gazeuse.
Une « pluie » d’ions lourds entrant en collision avec l’atmosphère de Jupiter
Ces vibrations génèrent des ondes dans le plasma qui se propagent le long des lignes de champ magnétique, provoquant périodiquement une pluie d’ions lourds qui entrent en collision avec l’atmosphère de Jupiter, libérant de l’énergie sous forme de rayons X.
« Cela fait quatre décennies que nous voyons Jupiter produire des aurores de rayons X, mais nous ne savions pas comment cela se produisait. Nous savions seulement qu’elles étaient produites lorsque des ions s’écrasaient dans l’atmosphère de la planète », explique l’astrophysicien William Dunn de l’University College London au Royaume-Uni. « Nous savons maintenant que ces ions sont transportés par des ondes de plasma – une explication qui n’avait pas été proposée auparavant, même si un processus similaire produit les aurores terrestres. Il pourrait donc s’agir d’un phénomène universel, présent dans de nombreux environnements différents de l’espace ». Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Science Advances.
Sur Terre, les aurores sont générées par des particules provenant du Soleil. Elles entrent en collision avec le champ magnétique terrestre, ce qui envoie des particules chargées telles que des protons et des électrons le long des lignes du champ magnétique en direction des pôles. Le phénomène se produit dans la haute atmosphère terrestre, conduisant à des collisions avec les molécules atmosphériques. L’ionisation de ces molécules qui en résulte génère alors les aurores polaires.
Sur Jupiter, il y a néanmoins quelques différences. Premièrement, les aurores sont constantes et permanentes, car les particules ne sont pas issues du Soleil, mais proviennent de la lune jovienne Io, le monde le plus volcanique du Système solaire. Elle rejette en permanence du dioxyde de soufre, qui est immédiatement éliminé par une interaction gravitationnelle complexe avec la planète, devient ionisé et forme un tore de plasma autour de Jupiter.
Deuxième différence importante : les impulsions de rayons X. Pour comprendre comment elles sont générées, l’équipe de recherche a étudié la planète à l’aide des observations simultanées de Juno et de XMM-Newton, réalisées les 16 et 17 juillet 2017 pendant 26 heures au total. Pendant cette période, Jupiter a émis un éclat de rayons X toutes les 27 minutes environ.
Sur la base de ces observations, l’équipe a établi un lien entre les observations de Juno sur le plasma et les observations de XMM-Newton sur les sursauts auroraux en rayons X ; à l’aide d’une modélisation informatique, les chercheurs ont déterminé comment les deux phénomènes pouvaient être liés.
Ondes électromagnétiques ioniques cyclotron : la naissance des aurores joviennes
L’équipe a conclu que les compressions du champ magnétique de Jupiter créent des vagues d’ions d’oxygène et de soufre qui s’enroulent en spirale le long des lignes du champ magnétique vers les pôles de Jupiter, où ils tombent sous forme de « pluie d’ions », entrent en collision avec l’atmosphère et génèrent des rafales de rayons X.
Ces ondes, appelées ondes électromagnétiques ioniques cyclotron (ou EMIC), ont également été associées aux aurores polaires vacillantes sur Terre. Pour l’instant, on ne sait pas exactement ce qui provoque les compressions du champ magnétique de Jupiter. Il pourrait s’agir de l’influence du vent solaire, de la circulation de matériaux lourds dans la magnétosphère jovienne ou d’ondes de surface sur la magnétopause, la limite extérieure entre la magnétosphère et le plasma environnant.
Quelle que soit la manière dont les compressions sont générées, le fait que le même mécanisme — les ondes EMIC — ait été lié aux émissions aurorales sur deux mondes aussi différents suggère qu’il pourrait être assez commun dans le Système solaire, ainsi qu’au-delà dans la galaxie.
« Maintenant que nous avons identifié ce processus fondamental, il existe une multitude de possibilités quant aux prochains endroits où il pourrait être étudié », déclare Yao. « Des processus similaires se produisent probablement autour de Saturne, Uranus, Neptune et probablement aussi des exoplanètes, avec différents types de particules chargées ‘surfant’ sur les ondes ». Les résultats montrent que les ondes EMIC pourraient jouer un rôle important, jusqu’ici inaperçu, dans la dynamique ionique de l’atmosphère de Jupiter, et pourraient nous aider à mieux comprendre les processus plasmatiques en jeu.