La peste noire est sans conteste l’épidémie la plus meurtrière de l’histoire, décimant jusqu’à 50% des Européens avec près de 25 millions de victimes. Cependant, malgré son importance historique, son origine reste encore mystérieuse. Si l’on sait en effet que cette maladie zoonotique a été causée par la bactérie Yersinia pestis, l’élément déclencheur de l’épidémie fait encore l’objet de débats. Des fouilles archéologiques récentes dans des tombes kirghizes datant de 1338, mettront peut-être fin à ce débat, notamment grâce à la découverte des souches bactériennes à l’origine de toutes les formes de peste. Le séquençage ADN aurait notamment révélé que ces souches seraient les ancêtres communs les plus récents de toutes les variétés connues aujourd’hui, dressant enfin l’arbre généalogique de la bactérie.
Sévissant vers le milieu du XIVe siècle, l’épidémie de peste aurait débuté en Crimée en 1346, lorsque des soldats catapultèrent des corps malades par-dessus les murs de l’ancienne ville de Caffa. La maladie s’est ensuite propagée à travers la ville, dont les marins infectés ont ensuite voyagé un peu partout en Méditerranée.
L’épidémie s’est par la suite exportée à travers toute l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et son ampleur lui a valu le nom funeste de « peste noire ». Cette première vague s’est ensuite étendue en une pandémie de près de 500 ans et durant jusqu’au début du XIXe siècle.
Malgré son ampleur, les origines de la pandémie ont toujours été un mystère et ont longtemps été débattues. Certaines théories évoquent une source provenant d’Asie de l’Est ou de Chine. Pourtant, les traces archéologiques disponibles ont toutes été trouvées en Asie centrale, près du lac Issyk Kul, dans l’actuel Kirghizistan.
Les fouilles incluaient notamment l’exhumation d’anciens corps, tous décédés d’une étrange maladie, dans des cimetières du XIVe siècle. Les tombes portaient comme dates de décès 1338 et 1339, et de nombreuses pierres tombales portaient l’inscription « mort de la peste » (qui à l’époque pouvait englober différentes formes d’infections virulentes). « Quand vous avez un ou deux ans avec une surmortalité, cela signifie que quelque chose d’étrange s’est passé », indique Philip Slavin, co-auteur principal de la nouvelle étude et historien à l’Université de Stirling, au Royaume-Uni.
Codirigées par l’Institut Max Planck et l’Université de Tübingen en Allemagne, les découvertes de la nouvelle étude ont ainsi montré qu’une épidémie a touché la population de la région entre 1338 et 1339, soit peu de temps avant le siège de Crimée. Toutefois, depuis leur découverte, les inscriptions en syriaque sur les pierres tombales ont suscité la controverse chez les scientifiques, par rapport à leur pertinence en tant que début de l’émergence de la peste noire.
Aujourd’hui, grâce au séquençage de l’ADN des bactéries prélevées sur les corps, le mystère est peut-être enfin élucidé. Ces échantillons ont en effet été comparés à ceux prélevés et archivés historiquement, et s’avèrent être l’ancêtre commun qui aurait tout déclenché.« Ils sont la souche qui a donné naissance à la majorité des souches qui circulent dans le monde aujourd’hui », explique Johannes Krause, auteur principal de l’étude et directeur de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive. « C’est vraiment comme le big bang de la peste », affirme-t-il.
L’origine confirmée en Asie centrale
Les chercheurs ont depuis longtemps estimé que la peste noire pouvait avoir découlé d’une diversification massive d’une souche bactérienne originelle, telle une sorte de « big bang de la peste ». Cependant, cet événement clé n’a jamais pu être daté avec précision, et l’on pensait qu’il se serait produit entre le XIVe et le XVe siècle, une fourchette d’estimation trop large et imprécise.
L’équipe de recherche de la nouvelle étude, publiée dans Nature, a reconstitué le génome complet des bactéries retrouvées dans des tombes kirghizes et analysé comment elles pourraient être liées à l’événement déclencheur. Les scientifiques ont alors découvert que les souches du Kirghizistan sont positionnées exactement au nœud de cet événement de diversification massive. Ils en ont alors conclu que la date d’origine exacte est 1338.
De plus, les souches modernes génétiquement les plus proches de la souche ancienne se trouveraient aujourd’hui dans les « réservoirs de peste », autour des montagnes du Tian Shan, donc très proches de l’endroit où la souche ancienne a été trouvée.
En tant que maladie zoonotique (qui se transmet de l’animal à l’homme), la peste vit en effet dans l’organisme des rongeurs, dits réservoirs de peste, puis est vectorisée par des parasites hémophages, comme les puces. Ainsi, l’ancienne souche d’Asie centrale qui a causé l’épidémie de 1338-1339 autour du lac Issyk-Koul proviendrait logiquement de l’un de ces réservoirs.
« Cela suggère que cette région pourrait être l’endroit où la peste est passée des animaux aux humains. Des milliers de génomes ont été analysés chez des rongeurs du monde entier. Mais les parents les plus proches de [la souche récupérée des tombes] se trouvent à cet endroit particulier », conclut Kraus.