En 2023, d’étranges ondes gravitationnelles à très basse fréquence ont été détectées par l’observatoire NANOGrav. Alors qu’elles ont initialement été attribuées à une transition de phase qui serait survenue très peu de temps après le Big Bang, une nouvelle étude remet en question cette hypothèse. Le type de transition qui se déroulerait serait notamment si lent qu’elle ne concorde pas avec la vitesse d’expansion de l’Univers. Cela suggère qu’une physique inconnue pourrait être à l’origine de ces ondes.
Prédites depuis les années 1915 par la théorie de la relativité générale d’Einstein, les ondes gravitationnelles sont des déformations du tissu spatio-temporel engendrées par des objets cosmiques massifs. Elles sont comparables aux ondulations produites à la surface de l’eau par la chute d’un objet. Elles peuvent par exemple être observées à la suite d’une collision entre deux trous noirs ou d’étoiles à neutrons. Ces objets cosmiques émettent continuellement des ondes gravitationnelles lorsqu’ils constituent au moins un système binaire (deux objets orbitant l’un autour de l’autre).
L’année dernière, le North American Nanohertz Observatory for Graviational waves (NANOGrav) a détecté des ondes gravitationnelles dont la fréquence était étonnamment basse (de l’ordre du nanohertz). La source de ces ondes fait depuis l’objet de débats, car leur fréquence est nettement inférieure à celle des ondes générées par les trous noirs supermassifs ou les étoiles à neutrons.
Les chercheurs ont supposé que ces ondes pourraient provenir de sources plus exotiques. Parmi celles proposées figurent par exemple les cordes cosmiques (des structures hypothétiques filiformes qui seraient apparues au cours la période d’inflation de l’Univers), des trous noirs primordiaux et une transition de phase de premier ordre — cette dernière étant la plus acceptée. La transition de phase de premier ordre est un processus de transition majeure survenue peu après le Big Bang, lorsque l’Univers a commencé à refroidir et à s’étendre.
Cependant, la nouvelle étude, récemment publiée dans la revue Physical Review Letters, remet en question cette dernière hypothèse. « Les théoriciens et les expérimentateurs ont émis l’hypothèse que les ondes gravitationnelles de l’ordre du nanohertz proviennent d’une transition connue qui s’est produite très peu de temps après le Big Bang — un changement qui a généré les masses de toutes les particules fondamentales connues », explique dans un article de blog de l’Université Xi’an Jiaotong-Liverpool (en Chine) Andrew Fowlie, coauteur principal de la recherche. « Cependant, nos travaux révèlent de sérieux problèmes avec cette explication par ailleurs séduisante de leur origine », indique-t-il.
Une fréquence qui ne concorde pas avec la vitesse d’expansion de l’Univers
Les transitions de phase sont des changements soudains dans les propriétés d’une substance et se produisent généralement lorsque celle-ci atteint une température critique. Elles se produisent par exemple lorsque l’eau se transforme en glace en atteignant la température de congélation. Il existe également un type de transition dite « superfroide », qui se produit lorsqu’une substance reste longtemps figée dans un état donné, même en atteignant la température critique, ralentissant ainsi sa transformation. Dans ce cas de figure, l’eau resterait par exemple bloquée dans sa phase liquide.
En analysant les ondes gravitationnelles détectées par NANOGrav, les chercheurs ont découvert que la transition doit forcément être superfroide pour pouvoir générer des ondes avec une fréquence aussi basse. Cependant, une telle transition serait inattendue, car sa vitesse ne concorde pas avec celle de l’expansion de l’Univers. « Ces transitions lentes auraient du mal à aboutir, car la vitesse de transition est plus lente que la vitesse d’expansion de l’Univers », explique Fowlie.
Les chercheurs ont également évalué si les données pouvaient concorder dans le cas où la transition s’accélérerait vers la fin. Ils ont constaté que bien que cela puisse l’aider à s’achever, la fréquence des ondes gravitationnelles générées dépasserait de loin le nanohertz. Les experts en ont donc déduit que les ondes détectées par NANOGrav ne peuvent pas être d’origine superfroide. Et si elles proviennent véritablement d’une transition de premier ordre, une physique inconnue pourrait en être à l’origine.
Ces résultats soulignent en outre la nécessité de recherches plus approfondies sur la transition de phase superfroide, surtout si elle est supposée se produire dans l’Univers primitif. « Il existe de nombreuses subtilités dans les liens entre l’échelle d’énergie des transitions et la fréquence des ondes. Nous avons donc besoin de techniques plus prudentes et plus sophistiquées pour étudier les ondes gravitationnelles et les transitions superfroides », indique Fowlie.
La compréhension de ce phénomène pourrait aider à décrypter les questions fondamentales sur l’origine de l’Univers, ainsi que des processus physiques a priori simples, mais incompris, tels que la manière dont l’eau s’infiltre à travers la roche et la façon exacte dont les incendies de forêt se propagent.