Les réseaux artificiels neuromorphiques démontrent des capacités toujours plus impressionnantes, en développant des comportements similaires à des fonctions cognitives humaines. Une nouvelle étude révèle qu’à l’instar du cerveau humain, ces nanoréseaux seraient capables d’apprendre et d’étendre leurs capacités à la mémorisation à court et long terme.
Les réseaux neuromorphiques sont constitués d’enchevêtrements de nanofils auto-assemblés formant des réseaux complexes en mailles, imitant l’agencement des neurones dans le cerveau. Afin de véhiculer des informations, les fils sont hautement conducteurs, généralement fabriqués à partir de matériaux composites d’argent et de polymère. En moyenne, leur diamètre est d’environ 360 nanomètres (en comparaison, un cheveu fait 100 000 nanomètres de diamètre). Chaque contact entre deux fils imite une connexion synaptique entre deux neurones. L’ensemble régulant les fonctions du réseau. « Ce réseau de nanofils est comme un réseau neuronal synthétique, parce que les nanofils agissent comme des neurones, et les endroits où ils se connectent sont analogues aux synapses », explique la coauteure principale de la nouvelle étude, Zdenka Kuncic, de l’institut de physique de l’Université de Sydney.
Dans une étude datant de 2019, des chercheurs ont suggéré qu’une fois stimulé électriquement, le réseau neuromorphique peut développer des comportements similaires aux fonctions cognitives, telles que l’apprentissage, la mémorisation ainsi que l’oubli. Ces capacités découleraient notamment d’une adaptation spontanée aux changements dans les voies de transmission. Ces fluctuations permettent aux signaux électriques d’exploiter de multiples voies de transport dans le réseau, afin de permettre le développement de nouvelles capacités.
La nouvelle étude, publiée dans la revue Science Advances, fait suite à cette recherche et démontre « qu’au lieu de mettre en œuvre une sorte de tâche d’apprentissage automatique, dans cette étude, [les chercheurs sont allés] un peu plus loin et [ont essayé] de démontrer que les réseaux de nanofils présentent une sorte de fonction cognitive », explique Kuncic. À terme, la technologie pourrait offrir d’importantes perspectives pour les réseaux d’intelligence artificielle (IA) et la robotique. En effet, bien que l’IA s’inspire de la capacité de traitement d’informations du cerveau, les modèles actuels ne sont pas encore capables de reproduire les capacités sous-jacentes régissant ce traitement. Les réseaux neuromorphiques permettraient à ces technologies d’acquérir des capacités telles que la prise de décision rapide dans des environnements non contrôlés.
Une mémoire aussi efficace que celle de l’humain
Afin d’évaluer la capacité de mémorisation de leur réseau de nanofils, les chercheurs de la nouvelle étude ont effectué un test de mémoire souvent utilisé pour évaluer celle des humains. Appelée « tâche n-back » par les experts, il consiste à regarder une série d’images pour tenter ensuite de se rappeler, après plusieurs diffusions, si une image spécifique présentée il y a « n-séquences », réapparaît dans une séquence ultérieure. En moyenne, le score n-back humain est de 7, c’est-à-dire que l’on reconnaît en moyenne une image qui est apparue une fois jusqu’à 7 séquences auparavant.
Pour indiquer au réseau la tâche à effectuer, les chercheurs ont manipulé les tensions électriques qui y sont diffusées, afin de modeler à leur guise les voies du réseau. « Ce que nous avons fait ici, c’est manipuler les tensions des électrodes d’extrémité pour forcer les voies à changer, plutôt que de laisser le réseau faire ce qu’il veut. Nous avons forcé les voies à aller là où nous voulions qu’elles aillent », explique Alon Löffler, chercheur au même département que Kuncic et auteur principal de l’étude.
En évaluant leur réseau neuromorphique, il a été constaté qu’il pouvait mémoriser un point dans un circuit électrique qui lui avait été indiqué sept séquences auparavant. Ce résultat indique que le réseau artificiel possède une capacité de mémorisation équivalente à la nôtre, lorsqu’il est guidé vers un objectif. D’après les chercheurs, sa mémoire montrait une précision élevée et ne manifestait aucune diminution avec le temps. Ainsi, en renforçant le réseau en le poussant à véhiculer les informations à travers les voies synaptiques désirées, une capacité de mémorisation a été développée.
D’après les neuroscientifiques, cette sélectivité est la clé de la mémorisation préférentielle observée chez les humains. En effet, lorsque certaines connexions synaptiques sont renforcées tandis que d’autres s’affaiblissent, nous conservons certains souvenirs, tandis que nous en oublions d’autres. Cette sélection est l’une des fonctions principales régissant notre capacité d’apprentissage.
Par ailleurs, les chercheurs de la nouvelle étude ont révélé que lorsque leur réseau est constamment renforcé, il atteint un point optimal où ce renforcement n’est plus nécessaire, car les informations ont été mémorisées. La mémoire à long terme se développe entre autres, par le biais de répétitions ou d’entraînements. Au cours de l’expérience, il a été démontré que le réseau pouvait stocker jusqu’à sept éléments en mémoire, avec des niveaux nettement supérieurs au hasard s’il n’était pas renforcé, et avec une précision quasiment totale en étant renforcé. En d’autres termes, la technologie aurait développé une mémoire à court et long terme.
L’importance de la découverte est soulignée par le fait que les fonctions cognitives d’ordre supérieur — conventionnellement associées uniquement au cerveau humain — peuvent être imitées par des matériaux non biologiques. « Nos travaux actuels ouvrent la voie à la réplication de l’apprentissage et de la mémoire de type cérébral dans des systèmes matériels non biologiques et suggèrent que la nature sous-jacente de l’intelligence de type cérébral peut être physique », estime Löffler.