La première mission Artemis s’est déroulée avec succès, ce qui est de bon augure pour les missions suivantes, dont l’objectif ultime est de ramener l’Homme sur la Lune. Mais la NASA voit déjà beaucoup plus loin et cherche un moyen efficace de voyager bien au-delà du système Terre-Lune. C’est pourquoi elle étudie actuellement une technologie de propulsion nucléaire bimodale, qui en théorie, permettrait d’atteindre Mars en 45 jours.
Cette nouvelle technologie combine la propulsion nucléaire thermique (NTP) et la propulsion nucléaire électrique (NEP) et utilise un « cycle de topping de rotor à ondes ». Le concept a été sélectionné dans le cadre du programme Innovative Advanced Concepts de la NASA (NIAC) pour 2023 ; il a été présenté par le professeur Ryan Gosse, responsable du programme hypersonique à l’Université de Floride et membre de l’équipe Florida Applied Research in Engineering (FLARE). Gosse et son équipe bénéficie d’une subvention de 12 500 dollars pour aider à la maturation de cette technologie.
Les deux types de propulsion mis en jeu ici ont tous deux déjà été testés et validés. La NTP utilise un réacteur nucléaire pour chauffer un fluide propulsif (de l’hydrogène liquide), qui est ensuite expulsé sous forme de gaz via une tuyère pour fournir la poussée. Quelques prototypes ont été testés sur le sol américain (dans le cadre du programme NERVA) et soviétique (moteur RD-0410), mais aucune fusée à NTP n’a jamais volé. Le programme NERVA (Nuclear Engine for Rocket Vehicle Applications) a pris fin en 1973 lorsque la NASA a été contrainte de réviser son budget à la baisse ; les Soviétiques ont mis fin à leur programme en 1980.
Combiner le meilleur des deux technologies
La NEP repose quant à elle sur un réacteur nucléaire, qui fournit de l’électricité à un propulseur à effet Hall (moteur ionique) ; celui-ci génère un champ électromagnétique qui ionise et accélère un gaz inerte (comme le xénon) pour créer une poussée. Les deux approches sont beaucoup plus efficaces que la propulsion chimique classique : elles offrent une impulsion spécifique (Isp) plus élevée, un meilleur rendement énergétique et une densité d’énergie pratiquement illimitée, explique Universe Today.
Le cycle de pointe de la NTP est basé sur une technologie de classe NERVA à noyau solide qui devrait fournir une Isp de 900 secondes, doublant ainsi les performances des fusées chimiques. « Malgré cette augmentation impressionnante, les conceptions NERVA du NTP ont encore des difficultés à fournir des fractions de masse initiales et finales adéquates pour les missions à fort Delta-v », précise la NASA — le Delta-v représentant la mesure de changement de vitesse d’un engin spatial.
La NEP, de son côté, peut fournir un temps de vol extrêmement élevé — plus de 10 000 secondes d’Isp, ce qui signifie que la poussée peut être maintenue pendant près de trois heures — mais avec une poussée faible et des limites quant aux rapports masse/puissance. La nécessité d’une source d’énergie électrique pose également le problème du rejet de la chaleur dans l’espace, où la conversion de l’énergie thermique est au mieux de 30 à 40% dans des conditions idéales.
Mars accessible en 45 jours, contre six à neuf mois actuellement
Gosse et son équipe ont donc proposé une combinaison des deux technologies, pour tirer parti des avantages de chacune : le cycle de topping à rotor à ondes doit en théorie fournir une poussée similaire à celle de la NTP de classe NERVA, mais avec une Isp de l’ordre de 1400 à 2000 secondes. « Couplé à un cycle NEP, l’Isp du cycle de fonctionnement peut encore être augmenté (1800-4000 secondes) avec un ajout minimal de masse sèche », précisent les concepteurs.
Le rotor à ondes, aussi appelé compresseur à ondes de pression, exploite les ondes de pression produites par les impulsions de gaz d’échappement d’un moteur à combustion interne pour comprimer l’air d’admission. Ici, le rotor utiliserait la pression créée par le chauffage du combustible (hydrogène liquide) dans le réacteur pour comprimer davantage la masse réactionnelle.
Cette conception bimodale permettrait un transit rapide vers Mars, de l’ordre de 45 jours. Elle pourrait ainsi complètement révolutionner l’exploration de notre système solaire. À l’heure actuelle, il faudrait compter six à neuf mois pour envoyer une mission habitée sur Mars. Un transit de 45 jours réduirait considérablement la durée totale de la mission et par la même occasion, les risques associés à ce type de mission tels que l’exposition aux radiations, le temps passé en microgravité et les problèmes de santé occasionnés par ces conditions.
À noter que l’énergie nucléaire est au cœur de plusieurs autres projets de la NASA. Parmi eux, le Kilopower Reactor Using Sterling Technology (KRUSTY), un petit système d’alimentation à fission léger, capable de fournir jusqu’à 10 kilowatts d’énergie électrique en continu pendant au moins 10 ans. Testé avec succès de novembre 2017 à mars 2018 dans le Nevada, le Kilopower pourrait devenir « un élément essentiel des architectures électriques lunaires et martiennes à mesure qu’elles évoluent », a déclaré Jim Reuter, administrateur associé de la NASA pour la Direction des missions de technologie spatiale.
Le projet porté par Theresa Benyo, chercheuse principale du projet de fusion par confinement de réseau au centre de recherche Glenn de la NASA, fait lui aussi partie de la sélection NIAC 2023 : il s’agit d’un réacteur nucléaire hybride de fusion et de fission rapide, conçu pour faire fondre les épaisses croûtes de glace des mondes gelés que sont Cérès, Encelade, Pluton ou encore Europe, afin d’explorer les océans d’eau liquide qui se trouvent en dessous.