Mis sur le marché dès le début des années 1990, les néonicotinoïdes sont des pesticides mondialement utilisés contre les insectes de culture et les parasites. Privilégiées pour leur redoutable efficacité, ces substances toxiques posent de sérieux problèmes sur le long terme, en décimant également des populations entières de nombreuses espèces vivantes, dont les abeilles. Pour endiguer ce fléau, les États membres de l’Union Européenne ont voté le 27 avril l’interdiction d’utilisation de trois nicotinoïdes majeurs dans toutes les cultures en plein champ.
En 1985, Shinzo Kagabu, alors biochimiste à Bayer CropScience (Japon), découvre l’imidaclopride, le premier néonicotinoïde. Mis sur le marché en 1991, de nombreux autres pesticides seront ensuite dérivés de celui-ci. Malgré plusieurs restrictions posées depuis la fin des années 1990, les néonicotinoïdes sont la classe de pesticides la plus répandue dans le monde (environ 1/3). Vendredi 27 avril, l’interdiction de ces pesticides a été votée par l’Union Européenne dans toutes les cultures en plein champ.
Néonicotinoïdes : neurotoxicité et écotoxicité
Leur emploi est motivé par leurs différentes caractéristiques, perçues comme avantageuses par les industriels : une infiltration totale des différents compartiments environnementaux (air, eau, sol), une très forte action insecticide, leur longue durée de vie. Les nicotinoïdes sont des pesticides systémiques, c’est-à-dire qu’ils se diffusent dans tout l’organisme de la plante et contaminent donc même les produits sécrétés tels que le nectar et le pollen. En plus de leur action phytosanitaire pour l’agriculture, ces substances sont également utilisées par les entreprises de désinsectisation comme biocides.
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Ces produits ont un puissant effet neurotoxique sur les insectes en bloquant l’action de l’acétylcholine (ACh). L’ACh est un neurotransmetteur extrêmement important puisqu’il joue un rôle majeur dans le système nerveux central et dans le système nerveux autonome, où il régule l’activité musculaire et végétative. Les néonicotinoïdes prennent la place de l’ACh au niveau des récepteurs nicotiniques de l’ACh ; c’est ce que l’on appelle des « agonistes ». En l’empêchant de se lier à ses récepteurs, l’ACh reste alors inactive, et les insectes meurent par interruption du système cardiopulmonaire.
Les néonicotinoïdes sont très peu biodégradables et finissent donc par être dangereux pour toutes les espèces vivantes qui entrent en contact avec ces derniers. Du fait de leur infiltration dans tous les écosystèmes, ils tuent indifféremment les oiseaux, les vers, les algues, et de nombreux autres organismes vertébrés et invertébrés. C’est particulièrement le cas pour les insectes butineurs comme l’abeille et le bourdon. Une étude de 2015 publiée dans la revue Environmental Science and Pollution Research a montré que ces substances étaient 7000 fois plus toxiques pour les abeilles que le DDT (un autre pesticide largement utilisé).
Plusieurs études au cours de ces dernières années ont ainsi montré que les néonicotinoïdes font partie des responsables notoires de la crise écologique actuelle. Grâce à plusieurs données recueillies sur l’ensemble de la France, le scientifique Jean-Marc Bonmatin (CNRS) a montré lors de la Task Force on systemic pesticides de 2014, qu’un tiers des populations d’oiseaux avaient disparu en 15 ans. De même, une étude de 2017 parue dans la revue PLoS One a révélé que plus de 75% des insectes volants avait disparu en Allemagne, au cours des 27 dernières années. Toutes ces disparitions étant reliées à l’utilisation massive de pesticides, dont les néonicotinoïdes constituent une grande part.
Une interdiction des néonicotinoïdes dans toutes les cultures en plein champ
En France comme dans d’autres pays de l’UE, trois néonicotinoïdes – l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame – font l’objet de restrictions partielles depuis 1999 sur le tournesol, et depuis 2004 sur le maïs. En 2013, la Commission Européenne avait étendu ces restrictions à un plus grand nombre de cultures. Toutefois, en février de cette année, un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a confirmé la très haute écotoxicité de ces trois néonicotinoïdes, en reliant notamment leur action au syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.
Sur la base de ces travaux, la Commission Européenne a proposé un texte visant à interdire l’emploi de ces trois molécules dans toutes les cultures en plein champ, n’autorisant leur utilisation que dans les serres fermées. Vendredi 27 avril, les États membres de l’Union Européenne ont adopté ce texte à la majorité qualifiée. Tandis que la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont voté l’interdiction, la Belgique, la Pologne ainsi que sept autres pays se sont abstenus. Quant à la Roumanie, au Danemark, à la Hongrie et à la République Tchèque, ces pays ont voté contre l’interdiction.
Pour Eric Andrieu, président de la Commission sur les pesticides au Parlement Européen, cette mesure d’interdiction est « essentielle pour l’avenir de la biodiversité et de notre agriculture ». Un avis partagé par Vytenis Andriukaitis, commissaire européen à la santé en charge du dossier et par l’ONG Pesticide Action Network qui décrit l’événement comme « un jour historique pour l’Union européenne ». Cependant, ce vote ne remporte pas l’adhésion de certains industriels de la betterave à sucre que les mesures de 2013 ne concernaient pas. Il provoque également l’indignation de plusieurs entreprises phytosanitaires dont le géant allemand Bayer qui déclare dans un communiqué que « Bayer demeure convaincu que les restrictions ne sont pas justifiées, car les néonicotinoïdes sont sûrs quand ils sont utilisés conformément aux instructions d’utilisation ».
Pour d’autres, ce vote ouvre la voie vers la préservation des écosystèmes mais ne sera réellement efficace que si il est accompagné de mesures efficaces concernant l’usage des pesticides en général. « Si ces néonicotinoïdes sont remplacés par d’autres substances similaires, alors nous tournerons en rond. Ce dont nous avons besoin c’est d’un réel pas en avant vers l’agriculture durable » conclut Dave Goulson, biologiste des populations à l’université du Sussex (Royaume-Uni).