L’accélération de la montée des niveaux des océans est un sujet qui refait surface régulièrement ces dernières années. Différentes équipes de climatologues étudient et avertissent des futures montées problématiques du niveau des océans et mers dans les décennies à venir. Un modèle a par exemple prédit une inondation globale des zones côtières d’ici 2100. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat évoque une montée d’environ 3,2 millimètres par an. Cependant, cette estimation manquerait de précision. Une nouvelle analyse montre que la fonte plus rapide de la glace a fait passer le taux d’élévation à 4,8 millimètres par an. Un chiffre inquiétant selon les climatologues.
La fonte plus rapide de la glace du Groenland a fait passer le taux de 3,2 à 4,8 millimètres par an, selon une moyenne sur dix ans compilée par Benjamin Hamlington, un océanologue du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA et chef de l’équipe de l’agence chargée des changements du niveau de la mer. « La perte de masse du Groenland est clairement passée à la vitesse supérieure », déclare Felix Landerer, un scientifique du JPL spécialisé dans le niveau de la mer. Grâce à de nouvelles données, à de nouveaux modèles de mouvement vertical des terres et, ce mois-ci, à un nouveau satellite radar, les océanographes ont une image plus précise de la vitesse à laquelle les mers s’élèvent et à quels endroits précisément.
Hamlington et ses collègues ont signalé pour la première fois les signes de cette accélération en 2018, dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Depuis lors, ils sont devenus, comme d’autres, plus confiants quant aux tendances. Dans une étude publiée en 2019 dans Nature Climate Change, un groupe dirigé par Sönke Dangendorf, océanographe physique à l’Old Dominion University, a utilisé des relevés de marégraphes antérieurs aux enregistrements par satellite pour montrer que les mers se sont élevées de 20 centimètres depuis 1900.
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Une accélération depuis 1960, avec peu de signes de ralentissement
Les données de l’équipe montrent qu’après une période de construction de barrages dans les années 1950 qui ont retenu les eaux de surface et ralenti la montée du niveau de la mer, celle-ci a commencé à s’accélérer à la fin des années 1960 et non à la fin des années 1980, comme le supposaient de nombreux climatologues, explique Dangendorf. « C’était surprenant, car on pensait que les principaux facteurs de l’élévation du niveau de la mer – l’expansion thermique de l’eau des océans due au réchauffement climatique, ainsi que la fonte des glaciers et des calottes glaciaires – étaient intervenus plus tard ».
Grâce au satellite Sentinel-6 Michael Freilich, que la NASA et l’Agence spatiale européenne ont mis en orbite le 21 novembre depuis la base aérienne de Vandenberg en Californie, les océanographes auront une vision plus précise de ces tendances. Nommé d’après l’ancien responsable du programme des sciences de la terre de la NASA, décédé cette année, le satellite fonctionnera comme ses prédécesseurs, en utilisant des impulsions de radar réfléchies pour mesurer la hauteur de l’océan. Mais ses instruments à plus haute résolution lui permettront de mesurer la hauteur de l’océan à moins de 300 mètres des côtes, soit beaucoup plus près qu’auparavant.
En effet, c’est sur les côtes que l’élévation du niveau de la mer se fait sentir et que les grandes variations locales peuvent masquer la moyenne mondiale. Dans un travail publié le mois dernier dans Scientific Data, Anny Cazenave, géophysicienne océanique à l’Institut international des sciences de l’espace, et ses collègues, ont réanalysé les enregistrements satellitaires disponibles et ont montré que l’élévation du niveau de la mer sur 20% des sites côtiers qu’ils ont étudiés en Europe, en Asie et en Afrique, était sensiblement différente de celle de la haute mer. « Nous devons expliquer cela », disait-elle.
Des tendances inquiétantes
Une partie de la variation reflète le mouvement vertical de la terre elle-même, en raison du lent balancement des plaques continentales qui « flottent » sur un manteau visqueux. Les courants océaniques côtiers, l’eau douce des rivières voisines et les conditions météorologiques peuvent également injecter de la variabilité en provoquant l’accumulation ou le retrait de l’eau des continents, explique Cazenave.
Mais Dangendorf pense que les courants de la haute mer entraînent une grande partie de cette variabilité, en acheminant l’eau montante de la haute mer — où il y a plus d’eau à réchauffer et à étendre — vers les côtes. Une reconstitution du niveau de la mer norvégienne entre 1960 et 2015, par exemple, a montré que les courants changeants étaient la meilleure explication des mystérieux et fréquents mouvements de 20 millimètres de hauteur. Dangendorf suit maintenant l’élévation du niveau de la mer dans neuf régions côtières jusqu’à leurs sources océaniques, et a constaté qu’elles se trouvent généralement à une distance de 500 à 1000 kilomètres ; une grande partie de l’élévation du niveau de la mer dans la moitié nord de la côte est des États-Unis, par exemple, provient des eaux balayées de la mer du Labrador.
Aimée Slangen, climatologue à l’Institut royal néerlandais de recherche sur la mer, et ses collègues, intègrent les récentes projections des modèles climatiques pour prévoir quand le niveau de la mer s’élèvera de 25 centimètres au-dessus des niveaux de 2000, un point où les inondations centennales sur certaines côtes pourraient être quasi annuelles. Dans une étude non publiée, Slangen a calculé que le seuil devrait être atteint entre 2040 et 2060. Les efforts pour ralentir le changement climatique ne contribueront pas beaucoup à retarder l’élévation, étant donné l’inertie du réchauffement des océans et de la fonte des glaces, bien qu’ils puissent prévoir des augmentations beaucoup plus importantes plus tard dans le siècle. Et « cette certitude à court terme, bien que terrible, est plutôt bonne pour la prise de décision », déclare Slangen.
Dangendorf, qui a rejoint l’Old Dominion à la fin de l’année dernière, est aux premières loges de l’action. L’université se trouve à Norfolk, en Virginie, une partie de la côte américaine où la croûte terrestre s’enfonce à peu près aussi vite que les océans s’élèvent. « Je regarde les inondations côtières chaque semaine », dit-il. « Je les vois de mon balcon ». Comme le suggère Slangen, la réponse climatique à ces tendances d’élévation dépendra fortement des mesures par les nouveaux instruments et des calculs prédictifs, dont heureusement la précision atteint elle aussi des nouveaux records. Les plans d’action pourront alors être plus spécifiques et ciblés, permettant une optimisation des ressources allouées dans cette lutte.