Une vaste étude portant sur 273 260 femmes révèle que « l’âge reproductif » influence significativement le risque de développer la démence plus tard dans la vie. Plus précisément, dans le cadre de l’étude, celles qui ont leurs menstruations pendant 34 à 37 ans présentent un risque réduit de 28 % de développer la maladie. En utilisant cette référence comme indicateur des niveaux hormonaux, les chercheurs en ont déduit que les œstrogènes pourraient jouer un rôle neuroprotecteur chez les femmes, comme le suggèrent d’ailleurs des études antérieures.
La démence englobe plusieurs maladies affectant la mémoire, la pensée et la capacité à effectuer diverses tâches quotidiennes (cognition). Cela inclut notamment Alzheimer (la forme de démence la plus fréquente), la maladie de Parkinson, la démence à corps de Lewy, la démence vasculaire, etc.
On recense 10 millions de nouveaux cas de démence par an dans le monde, dont plus de 60 % dans les pays à faible revenu ou intermédiaire. Il s’agit de la 7e cause de décès et de l’une des principales causes d’invalidité et de dépendance chez les personnes âgées.
Par rapport aux hommes, les femmes sont affectées par la maladie de manière disproportionnée. Pour Alzheimer par exemple, le sexe féminin constitue le second facteur de risque principal. Les femmes ménopausées représentent 60 % des cas. Il a déjà été suggéré par le passé que cela pourrait être dû à la fluctuation des niveaux d’œstrogènes au cours des années reproductives. Cependant, l’implication de l’hormone dans la pathogénicité de la démence reste floue pour deux raisons principales : la grande majorité des recherches neurologiques ont été effectuées sur des hommes, et celles menées sur des femmes montrent des résultats contradictoires.
Des résultats contradictoires ?
Dans presque toutes les études neuropathologiques impliquant la neuroimagerie, seulement 2 % mentionnent des facteurs hormonaux. Plus de la moitié ont rapporté une association statistiquement significative entre les hormones sexuelles féminines et les changements cérébraux liés au vieillissement. L’une d’entre elles révèle par exemple que les niveaux d’œstrogènes sont réduits dans le cerveau des femmes décédées d’Alzheimer.
D’autre part, l’ablation chirurgicale précoce des ovaires est associée à un risque accru de démence. L’hormonothérapie substitutive peut à la fois atténuer les effets de la ménopause et réduire le risque de démence. Les résultats d’expériences in vitro concordent avec ces constats en révélant que les œstrogènes ont des effets neuroprotecteurs contre diverses agressions cellulaires et contre l’accumulation toxique de plaques bêta-amyloïdes. Des études sur des modèles animaux suggèrent que l’œstradiol (de la famille des œstrogènes) améliore la connexion neuronale au niveau de l’hippocampe (jouant un rôle central dans la cognition, la mémoire, l’apprentissage et le repérage dans l’espace).
Cependant, de récentes recherches ont suggéré qu’une durée de reproduction plus longue — indiquant un plus grand nombre d’années d’exposition aux œstrogènes — est associée à un vieillissement cérébral plus marqué. Une étude menée sur des macaques Rhésus femelles a également révélé que les œstrogènes régulaient positivement l’Apolipoprotéine E (APOE), le gène associé à Alzheimer. En outre, les patientes Alzheimer présenteraient un excès de mutations rares dans le gène de la ménopause précoce : MCM8.
Afin de démêler ces données mitigées, des chercheurs de l’University College de Londres (UCL) ont effectué l’une des plus grandes analyses à ce jour concernant l’association entre l’âge reproductif des femmes et le risque de démence. « L’identification des facteurs de risque spécifiques au sexe, tels que l’exposition aux œstrogènes, doit être intégrée à la pratique clinique pour la prévention de la démence », ont-ils suggéré dans leur nouvelle étude, parue dans The American Journal of Geriatric Psychiatry.
Durée de reproduction plus courte = risque de démence plus élevé
L’analyse de la nouvelle étude concerne les données de santé de 273 260 femmes issues de l’UK Biobank. Les caractéristiques de reproduction, y compris la durée d’exposition aux œstrogènes et les antécédents chirurgicaux (hystérectomie/ovariectomie) ont été utilisées comme variables. Le nombre d’années de menstruations (ou l’âge reproductif) a ainsi été utilisé comme indicateur de niveaux hormonaux.
Les résultats montrent une forte corrélation entre l’âge reproductif et le risque de démence. Les chercheurs ont en effet constaté que les femmes qui n’avaient leurs menstruations qu’à partir de 15 ans présentent un risque 12 % plus élevé de développer une démence plus tard dans la vie. Parallèlement, celles qui n’ont été ménopausées qu’après 50 ans montrent un risque réduit de 24 %. En d’autres termes, celles qui avaient leurs menstruations pendant 34 à 37 ans présentaient 28 % moins de risque de développer une démence que celles dont la durée de reproduction est plus courte.
D’autre part, les femmes ayant subi une chirurgie reproductive montrent un risque 8 % plus élevé de développer une démence. Cela est particulièrement inquiétant dans la mesure où 90 % des hystérectomies sont réalisées pour des raisons bénignes. « Lorsque les femmes subissent une intervention chirurgicale en raison de conditions bénignes, elles subissent une diminution brutale de leur exposition aux œstrogènes et des changements accélérés dans le système nerveux pendant la période de périménopause », expliquent les chercheurs. Toutefois, le risque peut être réduit lorsque les interventions sont pratiquées plus tard dans la vie, à 40 ou 50 ans.
Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les œstrogènes ont un rôle neuroprotecteur chez les femmes. Toutefois, il est important de noter que l’hormonothérapie substitutive (en cas d’antécédents chirurgicaux ou de ménopause) n’a eu aucun effet protecteur notable. Néanmoins, les chercheurs suggèrent que le moment choisi pour entamer ce type de traitement pourrait aussi influencer la santé cérébrale chez les femmes. Plus de recherches sont nécessaires pour éclairer cette corrélation.