En réanalysant les statuts de conservation de 14 669 espèces européennes terrestres et aquatiques, des chercheurs révèlent que 19% d’entre elles sont menacées d’extinction, avec des proportions plus élevées pour les plantes (27%) et les invertébrés (24%). Transposés à l’échelle mondiale, ces chiffres suggèrent qu’il y aurait environ 2 millions d’espèces menacées dans le monde, soit le double de ce qui a précédemment été estimé par l’ONU. Ce chiffre confirme la nécessité de renforcer les programmes de surveillance pour la biodiversité.
En vue du déclin rapide de la biodiversité à l’échelle mondiale, différents accords et conventions internationaux (objectifs d’Aichi, objectifs de développement durable des Nations Unies, …) ont été mis en œuvre en faveur de la protection et de la sauvegarde des espèces. Des plateformes et outils spécialisés ont été développés pour évaluer les avancées des efforts de conservation, tels que la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Cette plateforme est largement reconnue en tant que baromètre de référence mondiale pour le statut de conservation des espèces.
Cependant, les évaluations comportent des incertitudes en raison du manque de données, surtout concernant les insectes. Pourtant, les invertébrés — dont 90% sont des insectes — incluent 97% des espèces animales. De plus, les insectes doivent figurer dans les efforts de conservation autant que les plantes et les vertébrés, car ils fournissent des services écosystémiques vitaux (pollinisation, décomposition, apport de nutriments aux sols, etc.).
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Les précédentes estimations suggéraient que 10% d’entre eux sont en danger d’extinction. En se basant principalement sur les données de l’Europe continentale, la nouvelle étude, publiée dans la revue PLOS ONE, propose quant à elle une synthèse plus complète de l’état de la biodiversité mondiale.
Une sous-évaluation des insectes
En Europe, la couverture taxonomique de la liste rouge de l’UICN est plus complète qu’ailleurs dans le monde en raison des apports de subventions conséquents. La liste comprend actuellement 14 669 espèces, incluant une grande diversité de groupes taxonomiques englobant notamment tous les vertébrés européens (amphibiens, oiseaux, poissons, mammifères et reptiles), environ 12% des espèces végétales et les groupes d’invertébrés d’importance fonctionnelle (abeilles, papillons, libellules, sauterelles, grillons, mollusques d’eau douce et terrestres et une sélection de coléoptères saproxyliques).
Ces efforts ont permis de recenser des taxons généralement sous-représentés dans les bases de données de conservation. Bien que ceux évalués aient été sélectionnés en fonction des priorités des bailleurs de fonds, ils sont beaucoup plus diversifiés que ceux listés dans les ensembles de données internationaux, tels que l’Indice Planète Vivante (IPV).
La nouvelle étude, codirigée par le Musée National d’Histoire Naturelle de Luxembourg, vise à synthétiser toutes les études concernant la liste rouge de l’UICN européenne. Elle répertorie notamment les évaluations des espèces listées jusqu’à fin 2020, afin d’analyser les modèles de répartition et les menaces qui pèsent sur la biodiversité en Europe.
Les analyses ont révélé qu’environ un cinquième (19,4 %) des 14 669 espèces évaluées sont menacées d’extinction (classées en danger critique d’extinction, en danger ou vulnérables). Ce taux est plus élevé pour les plantes (27%) et les invertébrés (24%) que pour les vertébrés (18%). Axel Hochkirch, auteur principal de l’étude et chercheur au Musée National d’Histoire Naturelle de Luxembourg, déclare au Guardian : « notre étude met vraiment en évidence que les insectes sont aussi menacés que les autres taxons. Et comme il s’agit du groupe d’animaux le plus riche en espèces sur notre planète, c’est vraiment un problème auquel il faut s’attaquer ».
Le taux élevé d’insectes en danger s’expliquerait à la fois par de récents ajouts dans la liste UICN et par le taux élevé de données insuffisantes. En effet, malgré la relative précision des relevés en Europe, le nombre d’espèces à données insuffisantes (pour l’évaluation du statut de conservation) reste relativement élevé (18% des espèces connues). Ce déficit est particulièrement important pour les invertébrés (24%), par rapport aux plantes (11%) et aux vertébrés (10%). En outre, le statut démographique de 60% des invertébrés est classé « inconnu » par les évaluateurs de la liste rouge UICN.
En transposant l’analyse à l’échelle mondiale, les experts ont observé que les estimations sont restées plus ou moins les mêmes que celles précédemment effectuées par d’autres organisations, excepté celles concernant les insectes. Il en a été déduit que 2 millions d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans le monde, ce qui représente le double de la dernière évaluation de l’ONU.
L’étude confirme par ailleurs les principaux facteurs de déclin rapportés par de précédentes enquêtes. Le principal facteur est l’expansion agricole, suivi de la surexploitation des ressources naturelles, de la pollution et de l’urbanisation. Dans l’ensemble, ces facteurs entraînent la perte et la fragmentation des habitats naturels. « Le constat selon lequel le changement d’affectation des terres agricoles constitue une menace majeure pour la biodiversité a souvent été rapporté. Cependant, notre analyse est la plus complète et la plus sans équivoque à ce jour, réaffirmant l’ampleur de l’impact de cette menace à l’échelle continentale », écrivent les experts dans leur document.
Les chercheurs rappellent également qu’il n’est pas trop tard pour renforcer et accélérer les efforts de conservation, ainsi que les pratiques durables. En Occident, la réintroduction de grands carnivores est par exemple d’un grand secours pour rééquilibrer le nombre de cervidés, qui en pullulant, menacent la flore vulnérable. Les corridors artificiels (qu’on peut désormais voir en France) atténuent les effets de la fragmentation des habitats sur la biodiversité. L’agroécologie est particulièrement intéressante pour protéger des milliers d’hectares de forêts et des millions d’insectes (en régénérant et en protégeant les sols), tout en assurant des moyens de subsistance à long terme.