Notre penchant pour l’alcool aurait émergé chez les hominoïdes il y a 10 millions d’années

Notre société moderne en aurait fait un facteur de risque pour la santé.

alcool herite penchant
| Pixabay

Alors qu’on pense généralement que notre attrait pour l’alcool représente uniquement un problème de société, des chercheurs révèlent qu’il s’agit d’une habitude héritée de nos ancêtres hominoïdes il y a environ 10 millions d’années. Ceux-ci auraient évolué pour développer une préférence pour les fruits mûrs tombés au sol et naturellement fermentés. Cependant, si ce penchant constituait initialement un avantage évolutif, la société moderne, où l’alcool est devenu largement accessible, en a fait un facteur de risque pour la santé.

Une hypothèse largement admise en médecine moderne avance que les maladies humaines proviennent d’une adaptation incomplète du génome aux nouveaux défis imposés par l’évolution de notre environnement. Cette théorie s’applique notamment aux pathologies liées au mode de vie, telles que l’obésité, le diabète de type 2 ou encore les maladies cardiovasculaires.

Si notre génome s’était adapté parallèlement à la plus grande disponibilité d’aliments riches en sucres et en graisses, ces maladies ne devraient techniquement pas exister. Autrement dit, l’humanité n’aurait pas eu suffisamment de temps pour évoluer et s’ajuster aux régimes alimentaires contemporains.

La célèbre hypothèse du « Drunken Monkey » (ou singe ivre), proposée en 2000 par le biologiste américain Robert Dudley, suggère que notre attrait pour l’alcool a évolué de la même manière. Il ne découlerait pas d’une « dégénérescence culturelle » moderne, mais d’une pression évolutive amorcée il y a des millions d’années chez nos ancêtres hominoïdes (les ancêtres communs des humains, des chimpanzés et des gorilles).

Ainsi, selon cette hypothèse, l’intolérance à l’alcool, la prédisposition à l’addiction ainsi que certaines maladies liées à la consommation d’alcool s’expliqueraient par une inadaptation de notre génome. Des études génétiques viennent conforter cette idée en identifiant les gènes responsables de la métabolisation de l’alcool, apparus chez nos ancêtres primates.

« Des millions d’années avant que l’homme n’invente l’agriculture et la fermentation, nos ancêtres frugivores auraient déjà été amateurs de fruits naturellement fermentés », explique, dans un article publié dans The Conversation, Mickael Naassila, professeur de physiologie et directeur du Groupe de Recherche sur l’Alcool & les Pharmacodépendances (GRAP – INSERM UMR 1247) de l’Université de Picardie Jules Verne. « Et le passage de la cime des arbres au sol avec le glanage de fruits tombés au sol aurait accéléré cette évolution », ajoute-t-il.

Des mutations permettant de métaboliser plus efficacement l’alcool

Une étude a identifié une mutation dans l’enzyme ADH4 (alcool-déshydrogénase) apparue il y a environ 10 millions d’années chez nos ancêtres hominoïdes. Celle-ci permettrait de métaboliser l’éthanol alimentaire quarante fois plus efficacement que les versions antérieures de l’enzyme chez d’autres primates. Autrement dit, les hominidés ont acquis cette capacité bien avant que l’Homme ne pratique la fermentation de manière volontaire.

Nos ancêtres communs avec les grands singes auraient développé cette mutation en privilégiant les fruits trop mûrs tombés des arbres et qui auraient fermenté naturellement sous l’action de levures. La capacité à métaboliser l’alcool plus facilement serait alors devenue un avantage évolutif, car elle offrait un accès plus aisé à une source de nourriture riche en calories.

Et si la mutation de l’ADH4 a permis aux grands singes de mieux dégrader l’alcool, l’humain possède une mutation supplémentaire d’une autre enzyme, l’ALDH, qui transforme l’acétaldéhyde (un produit de dégradation toxique responsable de réactions d’intolérance à l’alcool comme les rougeurs faciales et la nausée) en acétate, une molécule non toxique.

« Notre instinct de boire est ancien, mais les risques sont nouveaux »

Selon Mickael Naassila, l’intolérance à l’alcool est censée jouer un rôle protecteur en limitant naturellement la consommation. Les mutations permettant de mieux dégrader l’alcool sont apparues chez nos ancêtres au contact de fruits dont la teneur en alcool restait relativement faible. Car si l’éthanol est largement présent dans la nature, sa concentration varie considérablement selon le type de fruit et l’environnement de fermentation.

Les fruits des régions tempérées et subtropicales, comme le figuier sycomore ou le sorbier, présentent par exemple des concentrations d’alcool allant de 0,02 à 0,9%. En revanche, ceux des forêts tropicales humides, comme certains fruits de palmiers au Panama, peuvent atteindre jusqu’à 10%. La moyenne avoisine toutefois 0,2%, et seule l’ingestion d’une grande quantité de fruits suffit à provoquer l’ivresse.

Notre foie, lui, ne peut dégrader qu’environ 7 grammes d’éthanol par heure. Or, les boissons alcoolisées actuelles, en plus d’être largement disponibles, peuvent contenir plusieurs dizaines de grammes d’alcool dans seulement quelques centilitres. Un « shot » de 3 centilitres de whisky à 40° renferme déjà environ 10 grammes d’alcool.

Notre génome n’aurait donc pas encore eu le temps de s’adapter à une consommation aussi concentrée, sans conséquences néfastes pour l’organisme. « Il n’est pas étonnant que nous soyons confrontés au problème de la consommation excessive d’alcool et de l’addiction, qui ont de lourdes conséquences sur la santé et nos sociétés », observe Naassila. « Notre instinct de boire est ancien, mais les risques sont nouveaux », insiste-t-il.

À noter que notre attrait pour l’alcool semble avoir évolué en tant qu’avantage écologique, bénéfique à la fois pour nos ancêtres et pour les écosystèmes dans lesquels ils vivaient. Les fruits leur fournissaient sucres et probiotiques, tandis qu’en dispersant les graines, ils participaient à la propagation des plantes.

« Mais dans un monde où les boissons alcoolisées sont concentrées, accessibles, omniprésentes… ce qui fut un avantage est devenu un facteur de risque pour notre santé et un enjeu majeur de santé publique », conclut le chercheur.

Laisser un commentaire