Le modèle standard de la cosmologie, qui décrit toutes les étapes de l’évolution de notre univers et son contenu, repose sur la métrique de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker. Celle-ci décrit la géométrie moyenne de l’Univers à grande échelle ; il est communément admis qu’à l’échelle du cosmos, l’espace-temps possède une géométrie homogène et isotrope. En d’autres termes, l’Univers apparaît quasiment identique dans toutes les directions, quelle que soit la position de l’observateur. C’est ce que les scientifiques nomment « le principe cosmologique d’homogénéité et d’isotropie ». Une équipe de chercheurs a récemment mis en doute cette hypothèse.
Le principe cosmologique d’homogénéité et d’isotropie a été introduit par Albert Einstein en 1917, alors qu’il cherchait à appliquer la théorie de la relativité générale à l’ensemble de l’Univers. Depuis, l’homogénéité de l’Univers a été étayée par les observations astronomiques, sur des distances de plus en plus grandes ; l’hypothèse est notamment soutenue par l’extrême régularité du fond diffus cosmologique (FDC), qui présente des fluctuations de température de seulement environ une partie sur 100 000 sur de petites échelles angulaires.
Les fluctuations du FDC que nous percevons sur Terre sont dues aux mouvements de notre planète au sein du système solaire, mais aussi aux mouvements de notre propre galaxie dans l’Univers — tout comme la fréquence d’une sirène d’ambulance nous semble déformée lorsqu’elle passe au plus près de nous. Si le modèle standard suit bien le principe cosmologique, la même distorsion doit être observée dans les galaxies très éloignées. En 2002, des astrophysiciens ont ainsi confirmé l’hypothèse à partir d’un catalogue de galaxies, le NRAO VLA Sky Survey (NVSS). Mais l’échantillon de galaxies était relativement restreint et leurs distances comportaient des incertitudes, ce qui a laissé certains scientifiques sceptiques quant aux résultats obtenus.
Un univers pas vraiment symétrique
Subir Sarkar, physicien à l’Université d’Oxford, s’est intéressé à la question et a récemment apporté des preuves suggérant que notre compréhension de l’Univers serait en réalité complètement biaisée — les modèles et théories établis jusqu’alors pour décrire le cosmos ne seraient pas universels. De notre point de vue terrien, l’Univers semble s’étendre à un rythme donné, mais il est possible que cela ne soit qu’une question de perception, biaisée par le fait que notre propre galaxie se déplace elle-même dans l’Univers.
Son hypothèse repose sur l’étude du catalogue catWISE, recensant 1,4 million de quasars détectés par le télescope spatial WISE (ce catalogue présente l’avantage de concerner une plus grande partie du ciel que le NVSS). Dans une étude publiée l’an dernier dans The Astrophysical Journal Letters, le physicien et son équipe expliquent avoir détecté une distorsion dans la distribution de ces quasars, deux fois plus importante que celle prévue par la théorie. Leurs résultats suggèrent ainsi que ce ne sont pas seulement les galaxies et tous les autres objets astronomiques qui dérivent à travers l’Univers, mais que l’Univers tout entier pourrait lui aussi dériver dans une certaine direction.
« S’il est établi que la distribution de la matière distante dans l’Univers à grande échelle ne partage pas le même cadre de référence que le FDC, il deviendra alors impératif de se demander si l’expansion différentielle de l’espace produite par les structures non linéaires proches de vides, de murs et de filaments peut effectivement être réduite à un simple « coup de pouce » local », concluent les chercheurs dans leur étude. Si des travaux supplémentaires sont nécessaires pour clarifier les choses, Sarkar et ses co-auteurs pensent qu’il pourrait être nécessaire de fonder un cadre cosmologique entièrement nouveau, qui ne suppose pas que toutes les directions sont équivalentes. Concrètement, il serait nécessaire de résoudre différemment les équations d’Einstein.
Une « co-habitation » de plusieurs modèles cosmologiques ?
La plupart des scientifiques ne sont bien entendu pas prêts à accepter que l’Univers soit asymétrique, et que les théories actuelles soient biaisées. Certains pensent par exemple que les résultats obtenus par Sarkar pourraient être dus au fait que les quasars tendent à s’agglomérer davantage que d’autres types d’objets à ces échelles, ce qui ne remettrait pas fondamentalement en cause le modèle standard.
Le physicien souligne quant à lui que notre univers pourrait également reposer non pas sur une seule et unique cosmologie capable de tout décrire, mais sur plusieurs modèles, chacun s’appliquant à une époque différente. Les télescopes nouvelle génération, en particulier le Vera C. Rubin au Chili et le télescope spatial Euclid, sans oublier le Square Kilometre Array, qui scruteront bientôt des milliards de galaxies très lointaines, permettront peut-être d’éclairer le débat.
À noter que Sarkar n’est pas le premier à remettre en cause le principe cosmologique. Deux méthodes sont généralement utilisées pour calculer la constante de Hubble — soit la vitesse d’expansion de l’Univers. L’une repose sur l’analyse du FDC, l’autre s’appuie sur l’étude des chandelles standards (des objets astronomiques de luminosité connue). Or, les scientifiques obtiennent des valeurs différentes selon la stratégie employée : 67,4 km/s/Mpc ou 74 km/s/Mpc respectivement. Cet écart inexplicable, appelé la « tension de Hubble », suggère que notre modèle cosmologique est incomplet — même si des travaux ultérieurs ont montré que cette différence pourrait simplement provenir d’erreurs de mesure.
De même, la découverte récente d’un arc lumineux géant s’étendant sur plus de 3 milliards d’années-lumière, composé de galaxies et d’amas galactiques, s’oppose elle aussi aux modèles établis du cosmos. Cette mégastructure, baptisée l’Arc géant, qui représente environ 7% de l’univers observable, ne devrait tout simplement pas exister si la matière est uniformément répartie dans toutes les directions. En effet, selon les cosmologistes, la limite théorique actuelle est estimée à 1,2 milliard d’années-lumière. « Le nombre croissant de structures à grande échelle dépassant la taille limite de ce qui est considéré comme théoriquement viable devient de plus en plus difficile à ignorer », soulignait à l’époque Alexia Lopez, à l’origine de la découverte.