De nouvelles simulations suggèrent que notre réalité (ou univers) pourrait être une parmi de nombreuses autres, au sein d’un multivers quantique. Nous vivrions des expériences classiques quotidiennement, car peu importe la position de la réalité dans le multivers, les expériences quantiques deviendraient inévitablement classiques. Ainsi, nous existerions dans un multivers quantique sans en avoir conscience.
Depuis la proposition de l’existence d’univers multiples dans les années 1950 par le physicien Hugh Everett, le concept gagne en popularité tant chez les scientifiques que dans la culture populaire. L’hypothèse avance que notre univers existe parallèlement à de nombreux autres, se divisant constamment et étant inaccessibles les uns aux autres.
Depuis lors, différents types de multivers ont été proposés, y compris des « univers bulles » existant en nombre infini et sans connexion entre eux (théorie de « l’inflation éternelle »). Toutefois, le concept de « multivers quantique » est légèrement différent. Alors que les multivers classiques se composent d’univers existant séparément dans l’espace-temps, le multivers quantique serait constitué de plusieurs univers localisés au même point dans l’espace-temps.
Les défis théoriques dans l’étude du multivers quantique proviennent principalement de la manière de le concilier avec notre réalité classique. En effet, si l’équation de Schrödinger était appliquée à l’ensemble de l’Univers, alors les superpositions quantiques proliféreraient, donnant lieu à plusieurs univers ou événements évoluant simultanément. Cependant, si notre réalité existait véritablement au sein d’un multivers quantique, pourquoi toutes nos expériences finissent-elles par devenir classiques et non quantiques ? En d’autres termes, ce type de multivers semble fondamentalement incompatible avec notre réalité.
Un trio de chercheurs de l’Université autonome de Barcelone propose de résoudre ce problème de compatibilité en utilisant la mécanique quantique non relativiste, basée notamment sur le concept des « histoires décohérentes » — une interprétation moderne de la mécanique quantique. « En utilisant la mécanique quantique non relativiste, notre contribution est de fournir une preuve directe que le multivers quantique est compatible avec notre ‘réalité classique’ expérimentée », expliquent-ils dans l’étude, publiée dans Physical Review X.
Une émergence inévitable d’une expérience classique ?
Le concept d’histoires décohérentes repose sur l’attribution de la probabilité de l’existence de différentes histoires alternatives pour un système donné. Ces probabilités respectent à la fois les lois de la physique classique et sont en cohérence avec la mécanique quantique. L’équipe de la nouvelle étude a combiné ce concept avec celui du multivers quantique, afin d’évaluer à quelle fréquence ce dernier pourrait produire de telles histoires.
Chaque phénomène physique peut être décomposé en une séquence d’étapes se produisant à des moments précis. Les objets quantiques doivent disposer d’enregistrements bien définis de leurs comportements passés. Plutôt que de suivre cette interprétation, les experts de l’étude ont utilisé des équations quantiques décrivant un ensemble flou de possibilités de comportements, qui ne deviennent définitifs qu’après que l’objet a été observé.
Pour simuler leurs équations, les chercheurs ont utilisé un système expérimental simplifié contenant deux objets quantiques en interaction (par échange thermique). Bien qu’a priori simple, ce modèle présenterait les mêmes propriétés que les systèmes plus complexes du monde réel. Ils ont ainsi constaté que plus les objets devenaient massifs (jusqu’à plusieurs milliers de particules), plus leur probabilité d’avoir un comportement classique augmentait — ce qui concorde avec une histoire décohérente. Cette transition d’un état quantique à classique se produisait très rapidement et presque inévitablement. Cela suggère que notre réalité (classique) est effectivement compatible avec un multivers quantique.
Cependant, Robert Griffiths, le premier physicien à avoir développé le concept des histoires décohérentes, estime que sa théorie n’est pas compatible avec celle des univers multiples. Selon lui, ces résultats soulèvent des questions quant à la manière dont la décohérence quantique (une théorie expliquant la transition entre l’état quantique et classique) façonne notre univers, mais ne suffiraient pas à expliquer la potentielle existence d’un multivers quantique. D’autre part, des questions restent sans réponse, telles que celle déterminant si l’émergence d’un monde classique à partir d’un monde quantique est toujours inévitable, même s’il n’y a pas beaucoup d’univers existant en parallèle.
Néanmoins, bien que relativement simple, le modèle développé par l’équipe de la nouvelle étude pourrait améliorer notre compréhension des principes fondamentaux de la mécanique quantique. Par ailleurs, ces résultats pourraient potentiellement avoir des implications en astronomie, notamment si la classicité est véritablement inévitable.