Les problèmes de cartilage ne sont pas rares, notamment chez les sportifs, même amateurs. À force de chocs répétés, le cartilage qui protège l’articulation du genou est souvent mis à mal et s’use peu à peu. C’est là que les douleurs commencent… Des chercheurs américains proposent aujourd’hui un nouveau matériau très similaire au cartilage humain, sous forme d’hydrogel, qui pourrait tout à fait jouer son rôle pour pallier la perte de cartilage inhérente aux blessures ou à la vieillesse.
Aux États-Unis, ce sont plus de 790’000 arthroplasties du genou qui sont pratiquées chaque année. C’est une opération particulièrement invasive consistant à remplacer tout ou partie de l’articulation, dont les effets bénéfiques durent généralement une vingtaine d’années ; après quoi, il est nécessaire de remplacer le dispositif à nouveau. L’hydrogel développé par Ben Wiley et ses collaborateurs, de l’Université Duke, permettrait de s’affranchir de cette opération lourde, en remplaçant uniquement le cartilage usé.
Un hydrogel particulièrement résistant
L’articulation du genou relie trois os – le fémur, le tibia et la patella (ou rotule) – par le biais de trois articulations, l’articulation fémoro-patellaire et la double articulation fémoro-tibiale. Le cartilage qui entoure l’articulation joue ici un rôle essentiel : il agit comme un film protecteur, chargé d’assurer la fluidité des mouvements ; il protège les os et fait en sorte que les surfaces glissent facilement les unes contre les autres. Il se compose majoritairement d’eau (75%), puis de fibres de collagène et de cellules appelées chondrocytes.
Le genou fait partie des « articulations portantes », il est très sollicité et de ce fait, il est sujet à bon nombre de pathologies, notamment lorsque l’on prend de l’âge, mais aussi lorsque l’on présente un surpoids ou que l’on pratique une activité physique source de chocs répétés. L’arthrose, provoquée par l’usure du cartilage, est la maladie articulaire la plus fréquente et c’est la cause principale pouvant conduire à la pose d’une prothèse de genou selon la Haute autorité de santé. Plus de 80’000 genoux artificiels sont implantés chaque année en France.
Le chimiste Ben Wiley s’est donc intéressé à la question pour trouver le moyen d’éviter à des dizaines de milliers de personnes de subir des opérations lourdes, au résultat non pérenne : « Nous avons décidé de fabriquer le premier hydrogel possédant les propriétés mécaniques du cartilage ». À l’instar des autres hydrogels, les principaux ingrédients de ce nouveau matériau sont des polymères absorbant l’eau. Il en contient trois exactement : un premier polymère composé de fils de type « spaghetti », entrelacés avec un autre polymère moins flexible (un double réseau noté PAMPS, pour poly(vinyl alcohol) (PVA)–poly(2‐acrylamido‐2‐methyl‐1‐propanesulfonic acid sodium salt)) ; enfin, un troisième polymère, constitué d’un réseau de nanofibres de cellulose bactérienne, agit comme un maillage qui maintient le tout ensemble.
Comment fonctionne ce gel exactement ? Il contient 60% d’eau et lorsqu’il est étiré, ce sont les fibres de cellulose qui agissent : elle fournit une résistance à la traction similaire au collagène du cartilage naturel. Lorsqu’il est compressé, ce sont les polymères composant le PAMPS qui entrent en jeu : les charges négatives des chaînes polymères se repoussent et adhèrent à l’eau, de sorte que la forme d’origine puisse être restaurée. Sur ces deux fonctions majeures que sont l’étirement et l’écrasement, l’hydrogel a affiché des performances supérieures aux matériaux artificiels existants : il a parfaitement résisté à 100’000 tractions répétées, aussi bien que les dispositifs en titane utilisés pour les implants osseux.
Lors de tests où l’hydrogel a été frotté contre du cartilage naturel – près d’un million de fois – il s’est avéré plus résistant que ce dernier (avec un coefficient de friction 45% inférieur à celui du cartilage), et bien plus durable que les implants de cartilage artificiel approuvés par la FDA utilisés aujourd’hui dans les opérations du gros orteil (4,4 fois plus résistant à l’usure, selon les chercheurs).
Allier grande flexibilité et solidité
Le cartilage, notamment au niveau du genou, est un matériau naturel exceptionnel : il doit être suffisamment solide pour supporter le poids d’une personne, tout en étant assez souple et flexible pour amortir les chocs et permettre des mouvements de l’articulation – parfois de grande amplitude. À chaque fois, le cartilage subit une force qui équivaut à deux à trois fois le poids corporel. Par exemple, pendant une simple marche, le genou subit en moyenne trois fois le poids du corps. En position accroupie, la pression exercée entre le tibia et le fémur peut atteindre 4 fois le poids du corps !
Il est donc particulièrement difficile pour les scientifiques de reproduire artificiellement ces propriétés et ces performances uniques. Selon ses concepteurs, la grande résistance de ce nouvel hydrogel est due à cette combinaison innovante de trois polymères, qui lui confère à la fois une grande flexibilité, mais aussi une grande rigidité.
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L’équipe de chercheurs souligne toutefois que l’obtention du feu vert pour l’utiliser sur l’Homme pourrait prendre jusqu’à trois ans. Les personnes souffrant des genoux devront donc s’armer de patience si elles souhaitent profiter un jour de cette innovation. En effet, jusqu’à présent, la non-toxicité de l’hydrogel n’a été testée que sur des cellules cultivées en laboratoire. La prochaine étape consiste à vérifier que la substance peut être implantée en toute sécurité chez l’animal (des moutons). Si ces tests sont concluants, des essais cliniques humains pourront alors être envisagés.
En attendant, ce nouveau matériau semble très prometteur : il pourrait devenir un jour la solution incontournable pour restaurer une articulation, en garantissant un temps de récupération rapide et une durée de vie beaucoup plus longue pour ce cartilage artificiel. Tant que l’Homme ne sera pas doté de capacités de régénération similaires à celles que l’on peut observer chez certains amphibiens, les hydrogels restent à ce jour la piste la plus porteuse d’espoir pour soulager les pathologies articulaires.