La charge de la contraception repose encore aujourd’hui très largement sur les femmes. Et pour cause : les seuls choix offerts aux hommes en la matière sont les préservatifs et la vasectomie ! La recherche sur les contraceptifs oraux masculins n’a quant à elle abouti à aucune solution sûre et efficace. Une équipe de chercheurs de Weill Cornell Medicine va peut-être enfin changer la donne : ils ont en effet identifié un composé capable de stopper temporairement la motilité des spermatozoïdes.
Si la recherche sur les contraceptifs oraux masculins est actuellement au point mort, c’est en partie parce que les contraceptifs potentiels doivent franchir une barre beaucoup plus élevée en matière de sécurité et d’effets secondaires, explique le Dr Lonny Levin, professeur de pharmacologie à Weill Cornell Medicine. « Parce que les hommes ne supportent pas les risques associés à une grossesse, le domaine suppose que les hommes auront une faible tolérance aux effets secondaires potentiels de la contraception », précise-t-il.
En outre, la plupart des efforts actuels pour développer de nouveaux contraceptifs masculins affectent la spermatogenèse, ce qui signifie qu’ils nécessitent des mois de prétraitement continu avant d’être efficaces (et exigent un délai similaire après l’arrêt du traitement pour être entièrement réversibles). Le Dr Levin et son collègue, le Dr Jochen Buck, présentent aujourd’hui une approche différente : leur composé influence non pas le développement des spermatozoïdes, mais leur capacité à se déplacer (donc à rejoindre l’ovule). De plus, cet effet est quasi immédiat et provisoire. En d’autres termes, l’homme ne prendrait ce contraceptif qu’en cas de besoin, peu avant le rapport sexuel.
Un contraceptif masculin « à la demande »
Le taux mondial de grossesses non désirées est d’environ 50%, et il est encore plus élevé chez les adolescentes aux États-Unis, indiquent les auteurs de l’étude présentant ce contraceptif potentiel. Si les femmes bénéficient d’un éventail relativement large de solutions de contraception, il apparaît aujourd’hui essentiel de développer davantage les choix proposés aux hommes.
Ce n’était pourtant pas l’objectif premier des deux collègues. Ils ont commencé par isoler une importante protéine de signalisation cellulaire appelée adénylyl cyclase soluble (sAC), que l’on trouve dans presque toutes les cellules de l’organisme. À savoir que lors de l’éjaculation, les spermatozoïdes sont exposés à des niveaux accrus de bicarbonate, qui stimulent l’activité de la sAC, qui active à son tour leur motilité et leur capacitation (le processus de maturation que les spermatozoïdes doivent subir pour acquérir la capacité de féconder l’ovocyte).
Les chercheurs ont découvert que les souris mâles génétiquement modifiées de façon à ne plus exprimer la protéine sAC étaient infertiles. En 2018, la Dre Melanie Balbach, associée postdoctorale dans le laboratoire de Buck et Levin, a fait ensuite une importante découverte alors qu’elle travaillait sur les inhibiteurs de sAC comme traitement possible d’une affection oculaire : les souris qui avaient reçu un inhibiteur produisaient des spermatozoïdes incapables de se propulser vers l’avant.
Une autre étude impliquant deux patients humains, publiée en 2019, a par ailleurs montré qu’une mutation au niveau du gène codant pour sAC (ayant pour effet de supprimer son expression) étaient eux aussi stériles, mais par ailleurs en bonne santé — un résultat important pour s’assurer de l’innocuité de l’approche. L’équipe a donc testé un inhibiteur hautement spécifique de sAC, appelé TDI-11861, sur des souris pour examiner plus avant ses effets.
Un retour « à la normale » complet en 24 heures
Les résultats de l’étude montrent que l’administration d’une dose unique de cet inhibiteur chez les mâles inactive rapidement et temporairement le mouvement de leurs spermatozoïdes. Alors que les autres contraceptifs masculins expérimentaux, qu’ils soient hormonaux ou non hormonaux, mettent des semaines à réduire le nombre de spermatozoïdes ou à les rendre incapables de féconder les ovules, cet inhibiteur agit en 30 minutes ! En plus d’être plus pratiques, les traitements agissant de manière aiguë sont moins susceptibles de provoquer des effets secondaires indésirables par rapport aux traitements chroniques, note l’équipe.
Mis en présence de souris femelles, les mâles traités au TDI-11861 ont présenté un comportement d’accouplement tout à fait normal ; mais malgré 52 tentatives d’accouplement différentes, aucune des femelles n’a été fécondée à l’issue de l’expérience. Par comparaison, dans le groupe de mâles témoin (non traités), près d’un tiers des femelles ont été fécondées.
Les spermatozoïdes ont été immobilisés jusqu’à deux heures et demie et les chercheurs notent que l’effet persiste dans l’appareil reproducteur féminin, après l’accouplement. Ce point est fondamental, car dans le cas de la reproduction humaine, une fois que les spermatozoïdes traversent le col de l’utérus, ils peuvent persister pendant des jours, permettant à la fécondation de se produire jusqu’à plusieurs jours après la copulation. Le sperme d’un homme traité au TDI-11861 ne pourra pas traverser le col de l’utérus, mais sera immobilisé au niveau du vagin. Et comme celui-ci se ré-acidifie rapidement après l’acte sexuel, les spermatozoïdes ne survivront pas longtemps.
Cet effet est en outre complètement réversible : certains spermatozoïdes ont retrouvé leur motilité trois heures après le traitement. La quasi-totalité d’entre eux avait retrouvé la capacité de se déplacer au bout de 24 heures. D’autres traitements expérimentaux nécessitent, quant à eux, jusqu’à plusieurs semaines pour un retour à la normale.
« Ces études démontrent la faisabilité de deux paradigmes révolutionnaires pour la contraception humaine : la contraception masculine non hormonale et la contraception pharmacologique à la demande », concluent les chercheurs. Les inhibiteurs de sAC apparaissent en effet comme des composés prometteurs pour de développement de contraceptifs « à la demande » pour les hommes. La prochaine étape pour l’équipe consiste à répéter leurs expériences sur un autre modèle préclinique, avant d’envisager des essais cliniques humains.