Des chercheurs ont enfin identifié un mystérieux groupe sanguin découvert pour la première fois chez une femme enceinte en 1972. Baptisé « MAL », il est caractérisé par une mutation d’un gène éponyme engendrant une très rare forme héréditaire du phénotype AnWj-négatif. Bien que ce nouveau groupe sanguin n’ait été trouvé que chez une poignée d’individus, ces résultats permettront de les identifier plus facilement à l’avenir et ainsi de leur fournir une meilleure prise en charge médicale.
Les groupes sanguins sont des systèmes antigéniques complexes permettant à l’organisme de distinguer le « soi » du « non-soi ». Pour le système ABO par exemple, les personnes appartenant au groupe sanguin A portent l’antigène A à la surface de leurs globules rouges, tandis que celles du groupe B portent l’antigène B. Celles du groupe AB portent les deux et celles du groupe O n’en possèdent aucun des deux. Quant au système Rhésus (Rh), les individus 0 Rh positif (Rh+) portent le facteur à la surface de leurs globules rouges, tandis que ceux à Rh négatifs (Rh-) n’en portent pas.
Alors que seuls ces deux groupes sont bien connus, 47 principaux groupes contenant un ensemble de plus de 360 antigènes ont été identifiés à ce jour. D’autre part, la majorité des nouveaux groupes, tels que le système Er décrit pour la première fois en 2022, n’ont été identifiés que chez un petit nombre d’individus. C’est également le cas pour le nouveau groupe sanguin (le 47e donc), identifié par l’équipe du NHS Blood and Transplant et qui est lié à l’antigène érythrocytaire AnWj.
De précédentes recherches ont montré que 99 % de la population est porteuse de l’antigène AnWj, tandis que le 1 % restant en est dépourvu, soit pour une raison pathologique, soit pour une raison héréditaire, comme pour le cas de la femme enceinte identifiée en 1972. Il aura fallu près de 50 ans pour identifier les personnes dépourvues de l’antigène AnWj (AnWj négatif ou AnWj-) comme appartenant à un tout autre groupe sanguin.
« Le contexte génétique de l’AnWj est un mystère depuis plus de 50 ans, et c’est un mystère que j’essaie personnellement de résoudre depuis près de 20 ans de ma carrière », explique dans un communiqué de l’Université de Bristol (qui a contribué à la recherche) Louise Tilley du NHS Blood and Transplant, auteure principale de la nouvelle étude. Le travail a notamment été difficile en raison de la rareté des cas génétiques. « Il s’agit d’une immense réussite et de l’aboutissement d’un long travail d’équipe pour enfin établir ce nouveau système de groupes sanguins et être en mesure d’offrir les meilleurs soins aux patients rares, mais importants », ajoute l’experte.
Si les personnes AnWj- reçoivent du sang AnWj+, elles peuvent avoir une réaction transfusionnelle potentiellement fatale. Ces résultats — détaillés dans la revue Blood — permettront ainsi de développer des tests de génotypage pour identifier les rares individus appartenant à ce groupe et ainsi de réduire les risques de complications liées à la transfusion sanguine.
Une mutation génétique ne provoquant pas de maladie
Les raisons les plus courantes pour lesquelles certaines personnes possèdent le gène AnWj- sont un trouble hématologique et certains types de cancer supprimant l’expression de l’antigène. Dans le cadre de l’étude, 5 personnes génétiquement AnWj- ont été recrutées, dont une famille arabo-israélienne et la femme de 1972. L’échantillon sanguin de cette dernière a été prélevé et conservé depuis 2015. Afin d’identifier les fondements génétiques de cette caractéristique rare, les chercheurs ont effectué un séquençage d’exome, la partie du génome constituée par les exons, c’est-à-dire les parties des gènes qui sont exprimées pour synthétiser les produits fonctionnels sous forme de protéines.
Selon Nicole Thornton du NHS Blood and Transplant, coauteure principale de l’étude, « résoudre la base génétique de l’AnWj a été l’un de nos projets les plus difficiles, [car] il y a tellement de travail à faire pour prouver qu’un gène code réellement un antigène de groupe sanguin ». « Nous n’y serions pas parvenus sans le séquençage de l’exome, car le gène que nous avons identifié n’était pas un candidat évident et on sait peu de choses sur la protéine Mal dans les globules rouges », ajoute Tilley.
L’équipe a constaté que l’absence de l’antigène érythrocytaire AnWj est due à une délétion homozygotique (perte de deux allèles) dans le gène MAL, codant pour la protéine Mal (Myelin and Lymphocyte) — d’où l’appellation « groupe sanguin MAL ». Cette protéine joue un rôle essentiel dans le transport cellulaire et la stabilité de la structure membranaire. Alors que les personnes AnWj+ l’expriment sur toute la surface de leurs membranes érythrocytaires, celles AnWj- ne l’expriment pas. Afin de confirmer si la protéine est bien responsable de l’absence de l’antigène AnWj chez les participants à l’étude, les chercheurs ont introduit le gène MAL normal dans leurs cellules sanguines. Cela a effectivement permis à ces dernières d’exprimer l’antigène.
Il est intéressant de noter que bien que la plupart des personnes dépourvues de l’antigène érythrocytaire AnWj souffrent d’une pathologie sous-jacente, celles qui en sont génétiquement dépourvues sont en bonne santé. En outre, la première famille chez laquelle la mutation génétique a été observée est arabo-israélienne et d’autres cas ont également été recensés dans la région. Cependant, l’origine de ces derniers n’est pas connue et on ne sait donc pas si le groupe sanguin est une caractéristique ethnique ou non. Par ailleurs, l’antigène AnWj est naturellement absent chez les nouveau-nés et n’apparaît que peu après la naissance. L’identification des marqueurs sous-tendant la mutation du gène MAL permet désormais d’isoler les cas génétiques de ceux non génétiques.