Si le plastique est devenu si populaire, c’est parce que ce matériau combine plusieurs qualités : il est malléable, léger, robuste et résiste aux intempéries et à la plupart des agents chimiques. Mais ces qualités sont aujourd’hui un problème du point de vue environnemental, car les milliards de tonnes de déchets plastiques non recyclables qui se retrouvent dans la nature prennent des siècles à se dégrader. La solution ? Les bioplastiques, conçus à partir de matières végétales. Une équipe de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) vient de mettre au point un bioplastique aussi résistant que le PET.
Aujourd’hui, quelque 400 millions de tonnes de plastiques sont produites chaque année. La plupart sont issus d’hydrocarbures fossiles, et seuls 9% de ces plastiques sont recyclés. Ainsi, non seulement la production de ce matériau contribue largement aux émissions de gaz à effet de serre, mais il subsiste après usage sous forme de micro- et de nanoplastiques dans la nature et les océans. Depuis quelques années, les polymères biosourcés (à base de matières premières issues de ressources renouvelables) apparaissent comme une solution plus respectueuse de l’environnement.
Cependant, le développement de plastiques durables à partir de matières premières renouvelables est relativement limité par la complexité et l’efficacité de leur production, ainsi que par le manque de propriétés compétitives des matériaux. Des chercheurs de l’EPFL, dirigés par le professeur Jeremy Luterbacher, annoncent avoir réussi à contourner ces problèmes : fabriqué à partir de déchets végétaux, leur plastique est aussi solide que le PET, peut être recyclé chimiquement, ou bien se dégrader en sucres inoffensifs dans l’environnement.
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Un plastique à base de sucres végétaux naturels
Il y a quelques années, Luterbacher et ses collègues ont mis au point une méthode à base de formaldéhyde pour extraire et dépolymériser la lignine des déchets végétaux avec un rendement élevé — la lignine est un biopolymère qui constitue la paroi dure des cellules végétales. Les méthodes utilisées jusqu’alors impliquaient un prétraitement de la biomasse végétale qui altérait la lignine et réduisait les rendements. L’ajout de formaldéhyde a permis de stabiliser la matière végétale et d’éviter sa destruction lors de l’extraction.
Ils se sont inspirés de cette même chimie pour développer un nouveau produit chimique biosourcé utilisable comme précurseur de plastique. « Nous nous contentons essentiellement de « cuire » du bois ou d’autres matières végétales non comestibles, comme les déchets agricoles, dans des produits chimiques peu coûteux pour produire le précurseur du plastique en une seule étape », explique Luterbacher.
Pour concevoir ce matériau, ils ont transformé la fraction hémicellulosique de la biomasse non comestible en un précurseur plastique en utilisant de l’acide glyoxylique au lieu du formaldéhyde. L’hémicellulose est un biopolymère de la famille des glucides, que l’on trouve également dans la paroi cellulaire végétale et dans le bois.
Ils ont ainsi pu fixer des groupes fonctionnels « collants » sur les deux côtés des molécules de sucre, de manière à ce qu’elles se comportent ensuite comme des blocs de construction en plastique, explique Lorenz Manker, premier auteur de l’étude. Conserver la structure du sucre intacte au sein de la structure moléculaire du plastique simplifie grandement la procédure par rapport aux alternatives actuelles. Les chercheurs affirment que cette technique leur permet de convertir en précurseur plastique jusqu’à 25% du poids de déchets agricoles ou 95% de sucre purifié (du xylose commercial, un sucre de bois).
Des atouts comparables à ceux du PET
Le plastique — produit par polycondensation à l’état fondu du diester obtenu — est solide et résistant à la chaleur. Les chercheurs rapportent en effet des propriétés mécaniques robustes : une résistance à la traction allant jusqu’à 77 MPa, un module de traction (qui indique le niveau de rigidité) de 2500 MPa et un allongement à la rupture de 80%. En outre, leur plastique peut résister à une température de 100 °C.
Ce bioplastique constitue par ailleurs une bonne barrière aux gaz : l’équipe rapporte un taux de transmission de l’oxygène (100 µm) de 11 à 24 cc/m2 par jour et par bar et un taux de transmission de la vapeur d’eau (100 µm) de 25 à 36 g/m2 par jour. Cette propriété en fait un candidat prometteur pour les emballages alimentaires, en tant qu’alternative au PET, largement utilisé aujourd’hui.
Selon l’équipe, ce type de plastique peut être traité par moulage par injection, thermoformage, extrusion à double vis et impression tridimensionnelle. Les chercheurs ont déjà fabriqué des films d’emballage, des fibres qui pourraient être filées en vêtements ou autres textiles, et des filaments pour l’impression 3D.
Non seulement sa production est plus respectueuse de l’environnement, mais il est également plus simple à éliminer. Ce matériau peut être recyclé de la même manière que le PET (qui est broyé en paillettes, puis extrudé sous forme de granulés, qui sont ensuite purifiés pour être réutilisés). Sa nature dégradable a facilité son recyclage chimique par méthanolyse à 64 °C, précise l’équipe. S’il n’est pas recyclé, il se dégradera sans risques sous forme de sucres végétaux.
Parce qu’il est plus simple et moins coûteux à produire que d’autres initiatives de plastiques biosourcés, ce procédé pourrait mener rapidement à une production de masse. « Ce qui rend le plastique unique, c’est la présence de la structure intacte du sucre. Cela le rend incroyablement facile à fabriquer, car il n’est pas nécessaire de modifier ce que la nature nous donne, et simple à dégrader, car il peut revenir à une molécule qui est déjà abondante dans la nature », résume Luterbacher.