Le nouveau président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, ne commence décidément pas son mandat en forgeant une alliance avec la communauté scientifique mexicaine. Après avoir qualifié les déplacements en conférences de « tourisme politique » et certains groupes de chercheurs de « mafia scientifique », il a également effectué des coupes dans de nombreux budgets de recherche et replacé l’autorité de certains laboratoires dans les mains de son gouvernement. Des actions qui choquent et provoquent la colère des scientifiques du pays.
Les mesures d’austérité qui frappent la science font partie d’un effort plus vaste visant à cibler ce que López Obrador a appelé la « bureaucratie d’or » du Mexique — des fonctionnaires qui utilisent les fonds publics pour mener une vie de luxe. López Obrador a coupé dans son salaire et vendu l’avion présidentiel au profit d’un avion commercial. Le Mexique ne peut pas avoir « un gouvernement riche avec un peuple pauvre » déclare-t-il.
Les mesures d’austérité font suite à une série de coupes budgétaires annoncées en décembre 2018 dans le budget de cette année, au cours desquelles Conacyt a perdu environ 12% des fonds qu’elle administre (le budget consacré à la science, à la technologie et à l’innovation dans l’ensemble des agences fédérales a légèrement augmenté). De nombreux scientifiques souhaitent que la corruption soit combattue et soutenaient les élections présidentielles de López Obrador il y a un an.
Bien que le taux d’approbation du président se situe autour de 70% dans l’ensemble du pays, il a profondément déçu de nombreux chercheurs. « La communauté scientifique veut faire partie du changement et de la transformation dont le Mexique a besoin » déclare Fernando Fabián Rosales Ortega, astronome à l’Institut national d’astrophysique, d’optique et d’électronique (INAOE) à Tonantzintla. « Mais pour cela, nous avons besoin de ressources ».
Des coupes et restrictions budgétaires handicapantes
L’INAOE a licencié 20 employés expérimentés et réduit les fonds pour les déplacements, notamment vers ses propres télescopes et observatoires, explique Rosales Ortega. D’autres chercheurs financés par le gouvernement fédéral, allant d’écologistes à des généticiens, se plaignent des restrictions sur l’utilisation de l’électricité, les déplacements pour des conférences, l’assurance maladie et les fournitures de bureau.
Les réductions ont été appliquées sans tenir compte des besoins uniques des laboratoires, disent-ils. Les restrictions d’électricité, par exemple, rendent difficile pour IPICYT l’exploitation de son supercalculateur. Mais, « nous ne pouvons pas l’éteindre du jour au lendemain », déclare Morán López. La diminution du soutien rendra probablement les chercheurs mexicains plus dépendants des subventions étrangères et pourraient donc finir par conduire leurs recherches davantage à l’étranger.
Álvarez-Buylla, biologiste du développement et spécialiste des plantes, indique que les mesures d’austérité ne devraient pas entraver les travaux des scientifiques. « Les voyages ne sont en aucun cas nécessaires pour effectuer d’importants travaux de recherche ». Mais elle se demande si les centres de recherche financés par le gouvernement fédéral ont besoin d’une flotte de 1000 véhicules. Álvarez-Buylla dit que Conacyt publiera une déclaration expliquant comment les mesures d’austérité s’appliquent ou non aux scientifiques en activité.
« Tourisme politique » et « mafia corrompue » : le dédain de López Obrador pour les scientifiques
Le plan d’austérité comprenait à l’origine une disposition exigeant que tous les fonctionnaires, y compris les scientifiques de laboratoires financés par le gouvernement fédéral, obtiennent l’approbation du président pour les voyages à l’étranger. « Comment le président du pays est-il censé signer votre autorisation de voyage pour une conférence ? » demande Edna Suárez-Díaz, biologiste et philosophe des sciences à l’UNAM.
Une pétition en ligne contre l’effet du plan sur les chercheurs, organisée par Suárez-Díaz, a recueilli plus de 7000 signatures le premier jour de sa publication. À peine trois jours plus tard, Conacyt a précisé que cette exigence ne s’appliquerait qu’aux cadres supérieurs et aux bureaucrates, et non aux scientifiques. Álvarez-Buylla dit que cela a toujours été le cas. « Tout était clair depuis le début ».
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Les chercheurs se sentent également visés par le dédain apparent de López Obrador pour leur travail. Lors d’une de ses longues conférences de presse matinales, il a déclaré que l’approbation de voyage visait le tourisme politique des scientifiques voyageant en première classe et qu’il soutiendrait plutôt la mobilité et l’éducation des étudiants de Tarahumara, faisant référence à un groupe autochtone de Chihuahua.
« Nous ne reviendrons pas sur ces excès, même lorsqu’il s’agit de scientifiques ». Il a également décrit une « mafia » corrompue au sein de la communauté scientifique, qui aurait exploité les fonds publics. Álvarez-Buylla explique que ces commentaires concernaient principalement des bureaucrates de haut niveau ayant travaillé chez Conacyt dans des administrations précédentes.
La méfiance de la communauté scientifique envers Álvarez-Buylla
Les coupes et les discours négatifs ont incité près de cinq douzaines de chercheurs, sous le surnom de ProCienciaMX, à écrire une lettre ouverte réfutant les accusations de corruption, dénonçant le « manque de confiance » et appelant à plus de transparence et de soutien à la science. La lettre, également publiée sur Change.org, a recueilli près de 13’000 signatures.
Certains scientifiques se méfiaient déjà d’Álvarez-Buylla en raison de son militantisme bien connu contre le maïs transgénique. Elle a annoncé que Conacyt allait maintenant accorder des subventions ciblant des problèmes sociaux spécifiques, notamment la protection des bassins versants et la souveraineté alimentaire, en mettant l’accent sur les cultures indigènes.
Álvarez-Buylla n’a pas encore précisé les critères de sélection de ces subventions, mais affirme que le processus sera « rigoureux ». L’objectif est de « supprimer les obstacles à l’accès au savoir afin que tous les mexicains puissent bénéficier de la science et de la technologie », selon elle.
Les chercheurs déclarent également qu’il est inhabituel que Conacyt n’ait pas encore lancé d’appel d’offre pour des subventions de la science fondamentale cette année. Mais Álvarez-Buylla souligne que Conacyt a déjà financé près de 500 projets ayant reçu une note élevée mais qui n’ont pas été financés par la dernière administration. Elle déclare que l’appel à candidatures pour de nouvelles subventions à la recherche fondamentale sera lancé « dans les prochaines semaines », pour un montant total de 26 millions d’euros.
La mainmise gouvernementale sur les activités scientifiques
Pendant ce temps, la sénatrice Ana Lilia Rivera, du parti du président, a présenté un projet de loi qui éliminerait 10 autres organes consultatifs scientifiques et confierait à Conacyt la grande majorité des fonds de recherche et des responsabilités en matière de politique scientifique. Un changement qui, de l’avis des détracteurs, permettrait à Álvarez-Buylla de prendre des décisions unilatérales et couper des fonds pour des domaines qu’elle n’appuie pas personnellement.
« La science est très vaste et beaucoup d’entre nous ne correspondent pas à ce qu’elle a considéré comme étant des priorités » indique Sabino Chávez Cerda, physicien optique à l’INAOE. Álvarez-Buylla déclare que les propositions de subventions en physique et en mathématiques représentaient 26% des projets déjà financés cette année. « Aucun domaine de connaissance n’est exclu » du soutien de Conacyt, dit-elle. Un débat et un vote sur le projet de loi de réforme sont attendus plus tard cette année.
« C’est un gouvernement capable de se corriger » déclare Suárez-Díaz. Mais même quelques mois ou quelques années de restrictions pourraient causer des dommages à long terme à la science mexicaine.