Développée initialement dès les années 1980 par des physiciens comme Paul Benioff, Yurin Manin, Richard Feynman ou encore David Deutsch, l’informatique quantique est un domaine de recherche très actif en ingénierie et physique appliquée. Bien que certaines opérations aient déjà été effectuée grâce à un petit nombre de bits quantiques (qubits), l’informatique quantique n’en est encore qu’à ses balbutiements. Cependant, une équipe de physiciens a récemment atteint un nouveau record en créant un registre quantique constitué de 20 qubits.
L’ordinateur quantique est considéré, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, comme faisant partie de la prochaine singularité technologique. Grâce à des algorithmes comme Shor ou l’algorithme de Grover, l’ordinateur quantique serait capable de résoudre des problèmes bien plus vite et efficacement que n’importe quel machine de Turing classique déterministe ou probabiliste. Toutefois, un long travail attend encore les scientifiques avant d’aboutir à un système entièrement fonctionnel.
L’informatique quantique fait appel à deux mécanismes particuliers. Tout d’abord, l’intrication quantique dans laquelle deux particules intriquées ne forment plus qu’un seul système solidaire unique, partageant la même fonction d’onde et le même espace mathématique, la mesure d’une particule entraînant instantanément la mesure de l’autre. Ensuite, la superposition quantique dans laquelle l’état quantique d’une particule peut posséder plusieurs valeurs simultanément, tant qu’aucune mesure n’est effectuée.
Un ordinateur quantique utilise des bits quantiques, ou qubits. À la différence des bits classiques qui ne peuvent prendre comme valeurs que 0 ou 1, un qubit peut prendre simultanément les valeurs 0 et 1 grâce au principe de superposition. Cela permettrait de bâtir des architectures de calcul ultra-rapides. Cependant, pour ce faire, les qubits doivent pouvoir former des registres quantiques. Un registre quantique est l’analogue du registre de processeur classique (une zone d’adressage mémoire), composé d’un assemblage de qubits.
En 2011 déjà, une équipe de physiciens dirigée par Rainer Blatt à l’Institut de Physique Expérimentale de l’université d’Innsbruck (Autriche), avaient réussi à créer un registre intriqué de 14 qubits adressables. Mais récemment, Blatt et ses collègues sont allés encore plus loin en créant un registre quantique de 20 qubits adressables et individuellement contrôlables. Les résultats ont été publiés dans la revue Physical Review X.
Pour ce faire, les physiciens ont utilisé 20 ions calcium organisés en ligne servant de qubits et intriqués via un système de lasers. Les scientifiques ont réussi à intriquer les ions calcium avec deux autres, trois autres et même quatre autres ions dans le groupe. Ce n’est bien entendu pas la première fois qu’un grand nombre de particules sont intriquées – mais la prouesse vient du fait que les auteurs aient réussi à lire et adresser chacun de ces qubits individuellement.
« Il existe des systèmes quantiques comme des gaz ultrafroids dans lesquels l’intrication entre un grand nombre de particules a été observée » explique Nicolai Friis, physicien à l’Académie des Sciences Autrichienne (Vienne), et l’un des auteurs principaux de l’étude. Il existe même certains ordinateurs quantiques avec des assemblages de 50 qubits (IBM) ou 72 qubits (Google Bristlecone), mais dans ces systèmes, les qubits ne peuvent être individuellement contrôlés, lus et adressés.
Pour accomplir cet exploit, les auteurs ont piégé et confiné les 20 ions calcium au sein d’un puissant champ magnétique. Ensuite, grâce à plusieurs lasers, ils ont intriqué les ions afin d’obtenir un assemblage de 20 qubits, chaque qubit étant encodé dans l’état électronique d’un ion calcium. Cependant, un système intriqué comprenant plusieurs particules ne peut pas être décrit par chacune de ces particules, mais uniquement comme un seul système multi-intriqué. Cela rend la détection difficile – l’équipe a donc dû concevoir un moyen de détecter l’intrication de multiples particules.
« Premièrement, les particules sont intriquées par paires » explique Ben Lanyon, physicien et également l’un des auteurs principaux de l’étude. Son équipe a travaillé en collaboration avec des chercheurs de l’université d’Ulm (Allemagne). « Grâce aux méthodes développées conjointement avec nos collègues de Vienne et d’Ulm, nous pouvons détecter la propagation de l’intrication à tous les triplets de particules périphériques, à la plupart des quadruplets et à quelques quintuplets ».
Les physiciens viennois et allemands ont développé deux approches différentes. Les premiers ont développé une méthode utilisant un petit nombre de mesures permettant d’obtenir des résultats facilement analysables. Cette méthode a permis de détecter l’intrication jusqu’à trois particules en même temps dans le registre quantique. Les seconds ont employés une méthode numérique plus complexe mais aussi plus efficace, permettant d’observer l’intrication jusqu’à cinq particules à la fois. Avec ces méthodes, les scientifiques ont réussi à détecter l’intrication de 20 qubits.
Les auteurs affirment que ces méthodes peuvent être utilisées pour créer des registres quantiques encore plus grands – et puisque les qubits peuvent être manipulés individuellement, cela pourrait servir à effectuer des simulations quantiques ou des calculs quantiques complexes. « Notre objectif à moyen-terme est la création d’un registre de 50 qubits. Cela pourrait nous aider à résoudre des problèmes que les meilleurs supercalculateurs sont incapables de solutionner aujourd’hui » conclut Blatt.