Des chercheurs australiens ont testé avec succès les capacités d’une nouvelle puce optique : celle-ci a atteint une vitesse de 44,2 térabits par seconde, ce qui équivaut à télécharger 1000 films haute définition en une fraction de seconde ! Ce nouveau record du monde a fait l’objet d’un article dans la célèbre revue Nature Communications.
Pendant la pandémie, tandis que la plupart des grandes nations se retrouvaient confinées à domicile, les services web du monde entier ont subi une demande inhabituelle et exponentielle, parfois difficile à satisfaire. Pour assumer la charge, plusieurs services ont même fait le choix de proposer par défaut du contenu en moindre qualité. Un nouveau type de puce conçue par des chercheurs australiens permettrait de faire face à ce type de scénario et plus largement, à nos besoins toujours croissants en matière de données.
Faire face à un usage toujours plus important d’Internet
Alors que les communications longue distance (couvrant 1000 km) dominaient les réseaux mondiaux il y a 10 ans, aujourd’hui les efforts se concentrent sur les réseaux métropolitains (soit des liaisons de 10 à 100 km) et même les centres de données (distances inférieures à 10 km). Ceci crée le besoin de solutions de plus en plus compactes, peu coûteuses et économes en énergie ; les circuits intégrés photoniques sont vite apparus comme l’approche la plus viable pour y répondre.
Les puces optiques, ou photoniques, utilisent des photons au lieu des électrons pour stocker les données. Tout comme un ordinateur quantique est bien plus puissant qu’un ordinateur standard, une puce optique permet des transferts de données beaucoup plus rapides qu’une puce standard ; les photons, qui se déplacent à la vitesse de la lumière, offrent un transfert quasi instantané.
L’équipe de recherche, dirigée par Bill Corcoran (Université Monash), Arnan Mitchell (Institut royal de technologie de Melbourne ou RMIT) et David Moss (Université Swinburne), a réussi à atteindre une vitesse de données de 44,2 Tb/s à partir d’une seule puce optique, capable de fournir toutes les longueurs d’onde : un micropeigne. Cette technologie serait capable de prendre en charge les connexions Internet haut débit simultanées de 1,8 million de foyers à Melbourne, voire de milliards de foyers à travers le monde pendant les périodes « de pointe ».
Pour mener à bien leur étude, les chercheurs ont exploité l’infrastructure de communication existante en y ajoutant un micropeigne, équivalent aux capacités de 80 lasers infrarouges ! L’engin a été testé dans des conditions de charge identiques à celles subies habituellement par le réseau national à large bande australien (NBN). C’est la première fois qu’un micropeigne est testé ainsi sur le terrain.
Comme l’expliquent les auteurs de l’étude, les mesures de confinement actuelles – qui impliquent un usage accru d’outils de télétravail, des réseaux sociaux et des services de streaming – permettent d’avoir un aperçu de nos futurs besoins en matière de débit Internet, d’ici 2 à 3 ans. La prolifération des objets connectés et l’engouement croissant pour les plateformes de streaming, ajoutés à la croissance des populations, entraîneront inévitablement un besoin toujours plus important de capacités de transfert de données. « Nous devons être en mesure d’augmenter la capacité de nos connexions Internet », avertit Bill Corcoran. Le réseau mondial de fibres optiques transporte actuellement des centaines de térabits par seconde à chaque instant, avec une capacité augmentant de près de 25% par an.
Corcoran et ses collègues ont entrepris de se baser sur l’existant, soit les capacités actuelles des fibres optiques, déployées sur le territoire australien grâce au projet NBN, le plus grand projet d’infrastructure de l’histoire de l’Australie. La technologie qu’ils ont conçue présente l’avantage d’être évolutive et pourra donc répondre aux besoins futurs des usagers : « Et ce n’est pas seulement Netflix dont nous parlons ici, mais d’une utilisation bien plus large de nos réseaux de communication ». Corcoran évoque notamment les données inhérentes aux véhicules autonomes, à la télémédecine, ou encore à l’éducation à distance.
Des transferts ultrarapides grâce aux cristaux de solitons
Pour illustrer l’impact des micropeignes optiques sur l’optimisation des systèmes de communication, les chercheurs ont testé leur dispositif sur plus de 75 km de fibres en laboratoire, mais aussi sur le terrain : ils ont installé 76,6 km de fibres optiques noires (il s’agit de fibres optiques installées, mais pas encore alimentées par une source lumineuse) entre le Melbourne City Campus du RMIT et le Clayton Campus de l’Université Monash.
Ils ont intégré au sein de ces fibres leur micropeigne, qui agit un peu comme une centaine de lasers infrarouges ; chacun de ces lasers peut être utilisé comme canal de communication distinct. Puis, ils ont envoyé un maximum de données sur chaque canal – de façon à simuler un pic d’utilisation d’Internet – sur une bande passante de 4 THz. Le micropeigne utilisé appartient à la classe des « cristaux de solitons », des micropeignes robustes, dotés d’une stabilité intrinsèque, qui les rend particulièrement adaptés aux applications exigeantes telles que la transmission à très haute capacité au-delà du térabit par seconde.
Trois scénarios ont été étudiés : une connexion directe entre l’émetteur et le récepteur (dos à dos, noté B2B) et après transmission, via la fibre en laboratoire et via le réseau testé sur le terrain. Les chercheurs ont atteint un débit brut de 44,2 Tb/s, ce qui se traduit par une vitesse de 40,1 Tb/s en B2B, 39,2 Tb/s en laboratoire et 39 Tb/s sur le terrain. Des taux qui s’avèrent 50 % plus élevés que les derniers résultats obtenus avec un seul appareil intégré (documentés en 2017).
Arnan Mitchell, professeur au RMIT, souligne que le record de transfert de données observé met en exergue tout le potentiel de l’infrastructure australienne existante (un projet pourtant très controversé d’un point de vue politique à l’époque de sa mise en œuvre). Les chercheurs ambitionnent aujourd’hui de faire passer les émetteurs actuels de centaines de gigaoctets par seconde à des dizaines de téraoctets par seconde, sans augmenter leur taille, leur poids ni leur coût. « À long terme, nous espérons créer des puces photoniques intégrées, qui pourraient permettre d’atteindre ce type de débit de données sur les liaisons à fibres optiques existantes avec un coût minimal », a déclaré Mitchell.
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Depuis leur invention il y a une dizaine d’années, les micropeignes sont devenus un domaine de recherche extrêmement important et une solution très prometteuse pour répondre à la demande insatiable de bande passante au niveau mondial. Si ce type de solutions est traditionnellement à visée professionnelle, notamment pour prendre en charge les communications très haut débit des datacenters, les chercheurs espèrent toutefois démocratiser rapidement leur technologie : « Nous pourrions imaginer que cette technologie deviendrait suffisamment économique et compacte pour pouvoir être déployée à des fins commerciales auprès du grand public dans les villes du monde entier ».