L’allergie à l’arachide est l’une des allergies alimentaires les plus fréquentes. D’infimes quantités d’aliment à base de cacahuète suffisent à déclencher de sévères réactions allergiques. Il n’existe à ce jour qu’un seul traitement approuvé visant à réduire la gravité de la réaction allergique, et il doit être suivi plusieurs mois pour obtenir des résultats. Des chercheurs de l’Université de Californie à Los Angeles ont développé un nouveau traitement, directement inspiré des vaccins contre la COVID-19. Testé sur des souris, il s’est montré particulièrement efficace.
L’allergie à l’arachide se manifeste généralement dans l’enfance, le plus souvent avant l’âge d’un an. Elle provoque des démangeaisons au niveau de la muqueuse buccale et de la peau, des rougeurs, des gonflements et, dans les cas les plus graves, des difficultés respiratoires, voire un arrêt cardiorespiratoire. Contrairement à d’autres aliments allergènes connus, d’infimes quantités d’arachide (de l’ordre du microgramme) suffisent à initier une réaction. Le seul traitement est la désensibilisation, qui consiste à administrer au patient des doses croissantes de l’allergène de manière à induire une tolérance du système immunitaire.
Depuis 2020, un médicament est disponible pour faciliter cette approche : le Palforzia (une poudre d’arachide allégée en graisses), développé par Aimmune Therapeutics, dont l’usage a été approuvé aux Etats-Unis et en Europe. Le traitement se déroule en plusieurs phases (la première se déroule sous observation médicale), au cours desquelles le patient reçoit des doses croissantes de cette poudre. Ce traitement vise à atténuer les réactions allergiques en cas de contact avec l’arachide. La méthode mise au point par les chercheurs de l’UCLA pourrait, quant à elle, faire disparaître l’allergie à long terme en induisant une plus grande tolérance immunitaire.
Apprendre à l’organisme à tolérer les protéines d’arachide
L’équipe s’est inspirée des vaccins contre la COVID-19 afin de créer une nanoparticule unique en son genre : elle délivre de l’ARNm à des cellules spécifiques du foie, qui à leur tour, apprennent aux défenses naturelles de l’organisme à tolérer les protéines d’arachide. « Pour autant que nous le sachions, l’ARNm n’a jamais été utilisé pour traiter une maladie allergique », a déclaré le Dr Andre Nel, professeur distingué de médecine à l’UCLA, directeur de la recherche à l’Institut californien des nanosystèmes de l’UCLA et co-auteur de l’article rapportant les résultats.
Pourquoi les cellules du foie ? Les chercheurs expliquent que cet organe excréteur est familier des substances indésirables, y compris les allergènes (puisque son rôle est de les éliminer du sang) et de ce fait, est « programmé » pour ne pas y réagir. En outre, il abrite des cellules appelées « cellules présentatrices d’antigènes », qui collectent les protéines étrangères et entraînent le système immunitaire à les tolérer plutôt qu’à les attaquer lorsqu’elles sont détectées.
En 2020, Nel et ses collaborateurs avaient constaté qu’une nanoparticule délivrant au foie un fragment d’une protéine d’œuf soigneusement sélectionné (à la manière des cellules présentatrices d’antigènes) permettait de réduire les symptômes de l’allergie aux œufs chez la souris. Ce fragment de protéine est appelé épitope (ou déterminant antigénique) ; il permet aux cellules du système immunitaire de déterminer si elles sont en présence d’une substance appartenant au soi ou au non-soi.
Quelques mois après, ils sont parvenus à identifier l’épitope capable d’atténuer les allergies aux arachides chez la souris : un fragment de la protéine Ara h 2 — l’une des protéines de l’arachide présentant le plus fort potentiel allergénique. Administré aux cellules du foie par l’intermédiaire d’une nanoparticule, cet épitope a induit la production de lymphocytes T régulateurs, spécifiques de l’antigène. À savoir que ces lymphocytes contribuent à la tolérance immunitaire en inhibant la prolifération d’autres lymphocytes (et calment ainsi la réaction allergique).
Les épitopes ne contiennent pas la partie de la protéine qui déclenche les allergies, et sont donc supposés plus sûrs dans le cadre d’un traitement. « Si vous avez la chance de choisir le bon épitope, il existe un mécanisme immunitaire qui freine les réactions à tous les autres fragments », a déclaré le Dr Nel.
Une approche potentiellement applicable aux maladies auto-immunes
Dans ses derniers travaux de recherche, au lieu d’utiliser l’épitope directement, l’équipe a entrepris d’utiliser de l’ARNm codant pour l’épitope sélectionné — de la même manière que les vaccins à ARNm contre la COVID-19 contiennent les instructions de codage de l’ensemble de la protéine de pointe du SARS-CoV-2. L’avantage de cette approche est qu’elle permet de charger plus facilement la nanoparticule et d’inclure plusieurs épitopes différents — ce qui peut être intéressant dans le cas d’allergies multiples, par exemple.
La nouvelle nanoparticule a également été dotée d’une molécule de sucre à sa surface, qui se lie spécifiquement aux cellules présentatrices d’antigènes. Les chercheurs l’ont administrée à des souris pour évaluer sa capacité à prévenir l’allergie aux arachides. Les rongeurs ont reçu deux doses, à une semaine d’intervalle ; une semaine après la seconde dose, ils ont été sensibilisés aux allergènes via un extrait brut de protéines d’arachide. Sept jours plus tard, ils ont été exposés à ces protéines pour déclencher un choc anaphylactique.
Les souris ayant été pré-traitées avec la nouvelle nanoparticule ont présenté des symptômes beaucoup plus légers que les souris du groupe témoin, qui n’avaient reçu aucun traitement. Les scientifiques ont répété l’expérience en sensibilisant les souris aux protéines d’arachide avant qu’elles ne reçoivent la nanoparticule. Ils ont obtenu les mêmes résultats. Les mesures des niveaux de cellules immunitaires, d’enzymes et de cytokines ont confirmé que la nanoparticule avait augmenté la tolérance des animaux aux protéines d’arachide.
Le Dr Nel estime que si les prochaines études de laboratoire s’avèrent concluantes, les premiers essais cliniques sur l’Homme pourraient être réalisés d’ici trois ans. Il ajoute que cette méthode pourrait permettre de traiter non seulement d’autres allergies (alimentaires ou médicamenteuses), mais aussi les maladies auto-immunes. L’équipe étudie notamment la possibilité d’utiliser cette approche pour traiter le diabète de type 1, dans laquelle les lymphocytes T identifient à tort les cellules bêta du pancréas (productrices d’insuline) comme étrangères à l’organisme, et les éliminent.