Une équipe de l’Université de Tel Aviv a développé un traitement contre le VIH qui consiste à modifier génétiquement les cellules immunitaires directement dans l’organisme du patient, de manière à ce qu’elles produisent l’anticorps adéquat. Cette approche innovante, basée sur l’outil CRISPR-Cas9, permettrait de guérir les personnes infectées par le VIH en une seule injection.
Une infection au VIH est aujourd’hui relativement bien prise en charge. Les médicaments antirétroviraux proposés aux malades réduisent largement la multiplication du virus et permettent à leur système immunitaire de continuer à assurer ses fonctions. Cependant, cette approche ne permet pas d’éliminer complètement le virus, qui reste sous forme latente dans l’organisme. Le traitement doit donc être pris à vie, ce qui s’accompagne d’effets indésirables tels qu’un risque cardiovasculaire accru, une atteinte des fonctions rénale et hépatique, ou encore une ostéoporose.
En outre, plusieurs antirétroviraux sont source d’interactions médicamenteuses néfastes (notamment avec certains antibiotiques ou contraceptifs). Les chercheurs travaillent donc activement à mettre au point un traitement qui offrirait aux patients une guérison permanente, afin qu’ils retrouvent une vie complètement normale. Le laboratoire du Dr Barzel, de l’Université de Tel-Aviv est peut-être sur la voie : son équipe et lui ont développé un traitement à partir de lymphocytes B génétiquement modifiés in vivo.
Un anticorps anti-VIH sécrété par les cellules B
Les lymphocytes B, ou cellules B, constituent un type de globules blancs circulants, qui produisent des anticorps capables de détecter et de neutraliser les agents pathogènes de manière spécifique. Ils se forment dans la moelle osseuse, puis se déplacent dans le système sanguin et lymphatique d’où ils peuvent atteindre toutes les parties du corps.
Plusieurs recherches ont déjà montré que la transplantation de cellules B modifiées ex vivo pour sécréter des anticorps largement neutralisants pouvait être très efficace contre certaines maladies, y compris une infection au VIH. L’équipe de Barzel avait elle-même déjà testé avec succès cette méthode. Cependant, comme le soulignent les chercheurs dans leur étude, la traduction clinique de cette approche nécessiterait des centres médicaux spécialisés, des protocoles techniquement exigeants et surtout, la compatibilité parfaite des cellules du donneur et du receveur.
Barzel et ses collègues ont donc eu l’idée de modifier les cellules B in vivo, directement dans l’organisme du patient. Leur approche repose sur l’outil d’édition génétique CRISPR-Cas9 ; les chercheurs ont utilisé deux vecteurs viraux dérivés de virus — l’un codant pour Staphylococcus aureus Cas9 (saCas9) et l’autre pour un anticorps neutralisant anti-VIH, nommé 3BNC117. Ces vecteurs ont été modifiés de manière à ce qu’ils soient inoffensifs pour l’organisme, mais soient capables d’introduire le gène codant pour l’anticorps anti-VIH dans les cellules B.
Ce traitement a été testé sur des souris : toutes celles qui ont reçu une injection intraveineuse du composé présentaient des quantités élevées de l’anticorps souhaité dans leur sang. L’équipe rapporte des titres neutralisants allant jusqu’à 6,8 µg/mL.
Un traitement qui pourrait s’appliquer à d’autres maladies infectieuses
« Nous avons pu introduire avec précision les anticorps dans un site souhaité du génome des cellules B », souligne le Dr Barzel dans un communiqué. Comme précisé plus haut, l’édition génétique a été réalisée à l’aide du système CRISPR-Cas9, qui permet de couper l’ADN à un endroit très précis du génome, dans n’importe quelle cellule.
Cas9 — issue ici du staphylocoque doré — est en effet une protéine d’origine bactérienne aux propriétés antivirales, capable de couper l’ADN du virus au niveau de séquences spécifiques pour les neutraliser. La technologie CRISPR-Cas9, mise au point par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, est largement utilisée aujourd’hui pour désactiver des gènes indésirables ou au contraire, réparer ou insérer des gènes.
Les chercheurs ont exploité ici la capacité de CRISPR-Cas9 à diriger l’introduction de gènes dans les sites souhaités, ainsi que les capacités des vecteurs viraux à apporter les gènes adéquats aux cellules ciblées. C’est ainsi qu’ils ont pu modifier génétiquement les cellules B in vivo. L’équipe rapporte par ailleurs « un clivage hors cible minimal » de l’ADN des cellules. Lorsque les cellules B modifiées rencontrent le virus, elles sont stimulées et se divisent de manière à mieux le combattre. « De plus, si le virus change, les cellules B changeront également en conséquence afin de le combattre. Nous avons donc créé le premier médicament capable d’évoluer dans l’organisme », ajoute le Dr Barzel.
L’ingénierie in vivo des cellules B pour exprimer des anticorps thérapeutiques apparaît donc comme une méthode sûre, puissante et évolutive. Elle peut être appliquée non seulement aux maladies infectieuses, mais aussi au traitement d’affections non transmissibles, telles que le cancer et les maladies auto-immunes. Ce traitement innovant, capable d’éliminer le virus via une seule injection, pourrait véritablement améliorer la qualité de vie des personnes infectées par le VIH. Les chercheurs espèrent mettre au point un médicament contre le SIDA dans les années à venir. Selon ONUSIDA, 37,7 millions de personnes dans le monde vivaient avec le VIH en 2020.