Une équipe internationale de chercheurs a développé un nouveau vaccin antigrippe à base d’ARNm — soit la même technique que celle utilisée pour les deux principaux vaccins anti-COVID-19 — conçu pour cibler quatre protéines qui varient peu d’une souche virale à l’autre. Testé avec succès sur des souris, ce vaccin pourrait être réutilisé chaque année et rester efficace, quelles que soient les souches grippales en circulation.
Chaque hiver en France, 2 à 6 millions de personnes sont touchées par le virus de la grippe. Cette maladie peut être très grave chez les personnes les plus fragiles, telles que les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques. Les principales souches virales en circulation, A et B, n’étant pas les mêmes d’une année à l’autre, et la durée de protection du vaccin pouvant s’estomper après quelques mois, il est recommandé de se faire vacciner tous les ans, une quinzaine de jours environ avant le début de l’épidémie.
La composition du vaccin est actualisée chaque année en fonction des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et tient compte des virus qui sont les plus susceptibles de circuler. Mais le virus de la grippe reste imprévisible et l’efficacité du vaccin est variable — plus les souches choisies sont proches des souches circulantes, plus il est efficace. L’efficacité du vaccin antigrippe 2021-2022 a été estimée à 42%. Ainsi, cette approche est non seulement coûteuse (de par la nécessité de développer un nouveau vaccin tous les ans), mais aussi hasardeuse, car il arrive qu’une variante surprise survienne et que le vaccin ne puisse la combattre. Des chercheurs tentent ainsi de trouver une meilleure solution.
Un vaccin à ARNm ciblant quatre protéines virales
La campagne de vaccination contre la grippe a démarré le 18 octobre dernier. Pour cette saison 2022-2023, quatre vaccins antigrippaux sont disponibles en France : Vaxigrip Tetra®, Influvac Tetra®, Fluarix tetra® et Efluelda® — ce dernier étant réservé aux personnes âgées de plus de 65 ans. Ce sont des vaccins inactivés (donc qui ne contiennent aucun agent infectieux vivant), cultivés sur des œufs ; ils ne contiennent que des fragments de différentes souches virales.
Les deux principaux vaccins mis au point contre la COVID-19 sont quant à eux des vaccins à ARN messager (ARNm) : ils contiennent le code génétique codant pour la protéine de pointe du SARS-CoV-2 ; les cellules de l’organisme se mettent alors à produire cette protéine et le système immunitaire apprend à les reconnaître tout en produisant des cellules immunitaires mémoire, qui s’attaqueront aux particules virales porteuses de cette même protéine. L’avantage de cette approche est essentiellement la facilité de production d’un ARNm (qui permet, en outre, de s’affranchir de la culture d’agents pathogènes potentiellement dangereux).
Des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie, de l’Icahn School of Medicine du Mount Sinai de New York et d’autres institutions se sont inspirés de cette méthode pour mettre au point un vaccin similaire contre la grippe : ils ont utilisé plusieurs éléments de code génétique viral pour inciter l’organisme à produire des antigènes.
L’hémagglutinine est une glycoprotéine antigénique présente à la surface des virus Influenza de type A ; elle se compose grossièrement de deux parties principales : une « tige » et une « tête ». « Les vaccins saisonniers actuels, qui utilisent trois ou quatre virus grippaux inactivés, ciblent principalement le domaine de la tête, alors que le virus peut afficher plusieurs mutations à ce niveau pour échapper à l’immunité », explique à Inverse Norbert Pardi, professeur adjoint de microbiologie à la Perelman School of Medicine de l’Université de Pennsylvanie et co-auteur de l’étude.
Les segments d’ARNm utilisés par l’équipe codent pour la partie « tige » de l’hémagglutinine, pour la protéine M2, pour la nucléoprotéine et pour la neuraminidase — toutes présentes à la surface des virus de la grippe. Ces protéines présentent la particularité de demeurer à peu près identiques d’une souche virale à l’autre, ce qui fait d’elles de parfaites cibles immunitaires.
Une augmentation du taux d’anticorps et de cellules T « tueuses »
L’équipe a testé son vaccin sur des souris, dont aucune n’avait jamais été infectée par le virus de la grippe. Au total, 20 souris ont reçu des injections de différentes formulations du nouveau vaccin : certaines ont reçu un vaccin monovalent, contenant un seul des quatre segments d’ARNm, tandis que d’autres ont reçu un vaccin quadrivalent, contenant les quatre segments. Certaines souris ont par ailleurs reçu deux doses de vaccin — le rappel ayant été administré quatre semaines après la première injection.
Les souris ont ensuite été confrontées à un assortiment de différentes souches de virus grippal, qui infectent à la fois les humains et d’autres animaux comme les chiens. Les tests sanguins ont montré que toutes les souris ont présenté un certain degré d’augmentation de la production d’anticorps, mais seules les souris ayant reçu le vaccin quadrivalent ont été totalement protégées, à une exception près : les souris ayant reçu un vaccin monovalent contenant uniquement l’ARNm codant pour la nucléoprotéine.
Les anticorps, produits par les cellules B, ne sont pas nos uniques armes de défense contre les agents pathogènes : les cellules T cytotoxiques jouent elles aussi un grand rôle dans la réponse immunitaire adaptative, en détruisant les cellules cibles qui présentent des antigènes spécifiques. Des recherches antérieures ont montré qu’elles jouaient un rôle majeur dans la lutte contre les infections grippales, tant chez la souris que chez l’Homme. Les chercheurs ont constaté que le vaccin monovalent contenant l’ARNm de la nucléoprotéine favorisait la production de ces cellules T cytotoxiques — ce qui explique l’efficacité de cette formule.
Néanmoins, le « cocktail » d’ARNm reste préférable au vaccin monovalent selon l’équipe. « Lorsque nous les mélangeons tous ensemble, nous obtenons la réponse immunitaire la plus large. On obtient l’engagement des cellules T contre la nucléoprotéine, on obtient des anticorps et l’on obtient une réponse neuraminidase assez forte », a déclaré Florian Krammer, virologue à l’Icahn School of Medicine du Mount Sinai et co-auteur de l’étude.
Toutefois, il n’est pas certain que ces résultats encourageants observés chez les souris se répètent chez l’Homme : notre immunité préexistante contre la grippe pourrait avoir un impact sur la qualité de la réponse en anticorps d’un vaccin potentiel. De futurs essais cliniques permettront d’éclairer ce point.