De nouvelles observations optimisées par l’apprentissage automatique suggèrent que notre système solaire s’étend beaucoup plus loin que les limites précédemment établies. Les données indiquent notamment une étonnante densité d’objets auparavant non détectés situés à près de 80 unités astronomiques (UA) du bord extérieur de la ceinture de Kuiper — une région censée être majoritairement vide. Les chercheurs suggèrent ainsi la présence d’un second anneau de débris spatiaux.
Notre système solaire est entouré du nuage d’Oort, une gigantesque sphère constituée de débris spatiaux et située à environ 1,6 année-lumière du Soleil. À l’intérieur de cette coquille se trouve le disque englobant notre étoile, les planètes et leurs lunes. Il est délimité par la ceinture de Kuiper, située au-delà de l’orbite de Neptune. Contrairement au nuage d’Oort, il s’agit d’un anneau relativement fin occupé par de petits corps glacés pour la plupart de taille inférieure à Pluton. Sa distance par rapport à la Terre est d’environ 30 à 55 UA (jusqu’à la limite de son bord extérieur). Pour rappel, l’UA correspond à la distance moyenne Terre-Soleil (environ 150 millions de kilomètres).
La plupart des observations dirigées vers la ceinture de Kuiper ont révélé qu’elle semble s’amincir soudainement à partir de 48 UA (par rapport au Soleil). Cependant, les astronomes ont constaté que les équivalents de cette région pour d’autres étoiles similaires au Soleil s’étendent sur au moins le double de cette distance. On pensait donc jusqu’ici que notre système solaire était relativement compact, représentant ainsi une exception. Mais les nouvelles données, rapportées par la mission New Horizons et analysées par une équipe du Centre de recherche en astronomie et en astrophysique de Herzberg (notamment par le biais de l’apprentissage automatique), suggèrent que le système solaire n’est finalement pas si exceptionnel dans son diamètre global.
Une technique améliorée par l’apprentissage automatique
Se déplaçant à près de 60 000 kilomètres par heure, la sonde New Horizons se trouve actuellement à près de 60 UA du Soleil. Malgré les prouesses techniques de la mission, les observations à cette distance représentent un défi majeur. En effet, les objets y sont si faiblement éclairés qu’ils sont extrêmes difficiles à détecter. D’autre part, « la détection de sources mobiles dans les données astronomiques constitue l’épine dorsale de nombreux projets d’astronomie planétaire », écrivent les chercheurs dans le document de l’étude, présentée à l’occasion de la 54e édition de la Lunar and Planetary Science Conference. L’une des manières de contourner cet obstacle consiste à superposer plusieurs expositions, afin d’amplifier le signal des sources de faible luminosité. Cependant, le déplacement des objets entre les intervalles d’exposition représente tout de même un problème.
Les astronomes s’appuient alors sur une technique appelée « shift-stacking ». Même si la cible d’observation se situe à un emplacement différent à chaque exposition, elle permet de « décaler » les séquences d’exposition de sorte que les mêmes pixels sur chaque image correspondent à ces emplacements. Ensuite, les images obtenues peuvent être superposées et la visibilité d’un objet de faible luminosité est ainsi améliorée. Mais là encore, un problème subsiste malgré quelques résultats satisfaisants.
Le shift-stacking requiert un contrôle visuel rigoureux afin de distinguer les sources mobiles de celles ponctuelles, qui sont beaucoup plus nombreuses. De ce fait, son utilisation est à la fois coûteuse et chronophage, sans compter le fait que les cibles ne sont pas directement visibles sur les images individuelles. Même en appliquant des techniques élaborées de traitement d’image, la fréquence de détection de faux positifs reste élevée. Afin de résoudre ces problèmes, les chercheurs du Centre de recherche de Herzberg se sont appuyés sur l’apprentissage automatique, permettant de traiter de grandes quantités de données en un temps record et de façon objective.
Une seconde ceinture de débris spatiaux ?
Le nouveau protocole des chercheurs canadiens se base sur l’apprentissage automatique et la liaison des temps d’exposition, afin d’identifier les sources candidates de déplacement à haute probabilité et spécifiquement adaptées aux données de shift-stacking. Pour ce faire, un réseau neuronal résiduel 3D-convolutif multicouche (ResNet) a été utilisé pour effectuer une tâche de classification binaire : valide ou invalide ? Ce réseau a été préalablement formé sur des objets sources artificiels, afin d’obtenir des données de repère de base. Ensuite, il a été appliqué pour trier les données de la mission New Horizons, relevant les objets de la ceinture de Kuiper.
La technique a permis de réduire les sources candidates de plus de trois ordres de grandeur, l’efficacité de détection étant passée à plus de 70%. Le réseau ResNet a détecté deux fois plus d’objets confirmés que les recherches précédentes analysant les mêmes données (collectées entre 2020 et 2021). De plus, les chercheurs ont été surpris de constater qu’il y avait plus d’objets que prévu à 80 UA du bord extérieur de la ceinture de Kuiper. « Ces résultats provisoires semblent trahir la présence d’une population de planétésimaux jusqu’alors non détectée et probablement massive au-delà de la ceinture de Kuiper connue », indiquent-ils.
Ces résultats suggèrent donc l’existence d’une seconde ceinture de débris spatiaux, qui serait distante de plus de 50 UA de la première. Cela signifierait que notre système solaire serait beaucoup plus étendu qu’on le pensait et qu’il correspond davantage aux modèles stellaires (avec un système planétaire) du même genre. Toutefois, il faut garder à l’esprit que l’étude est encore en cours d’évaluation par les pairs, sans compter que les analyses similaires concernant les mêmes régions cosmiques n’ont jamais signalé la présence d’une telle densité d’objets.