Les calculs rénaux sont une affection courante et souvent très douloureuse. De plus, elle implique un coût certain pour le système de santé, atteignant par exemple aux États-Unis 10 milliards de dollars par an. Bien que de nombreux calculs disparaissent d’eux-mêmes, des traitements ou chirurgies sont parfois nécessaires, notamment en cas de récidive. C’est pourquoi, récemment, une équipe de la faculté de médecine de l’Université de Washington a mis au point une technique appelée « lithotripsie par rafale d’ondes sonores » (Burst Wave Lithotripsy en anglais) fournissant une alternative efficace et plus accessible pour le traitement non invasif des calculs rénaux.
Les calculs rénaux se forment dans les voies urinaires à partir de sels solubles provenant de notre alimentation et du fonctionnement même de notre organisme. En effet, les déchets présents dans le sang peuvent parfois former des cristaux quand la concentration de ces déchets dépasse une valeur appelée « seuil de cristallisation ». Ils s’accumulent alors à l’intérieur des reins. C’est la migration du calcul dans l’uretère — conduit qui amène l’urine depuis le bassinet du rein jusqu’à la vessie — qui provoque les violentes douleurs de la colique néphrétique. Le calcul bloque en effet le flux urinaire, entraînant une dilatation en amont des voies excrétrices du rein.
L’incidence de la maladie lithiasique urinaire est en constante augmentation dans les pays industrialisés, pour lesquels l’alimentation est souvent peu équilibrée (plats industriels, restauration rapide, etc.) et l’activité physique réduite. Jusqu’à 15% des personnes souffrent de calculs rénaux à un moment donné de leur vie.
Dans de nombreux cas, les calculs rénaux restent assez petits pour passer spontanément et sans aucune intervention. Cependant, certains patients nécessitent une intervention chirurgicale pour éviter des lésions rénales permanentes. Cette dernière consiste en une approche endoscopique afin de broyer le calcul rénal à l’aide d’un laser, sous vision directe. La nature du traitement chirurgical, effectué par un urologue, dépend de la morphologie et des comorbidités du patient, de la localisation du calcul, mais aussi de sa taille, de sa composition et de l’anatomie des voies urinaires.
Actuellement, il existe une option non invasive consistant à envoyer des ondes afin de briser les calculs rénaux. Il s’agit de la lithotripsie extracorporelle par ondes de choc (LEC). Cette technique nécessite généralement que les patients soient sous sédation ou même anesthésiés, mais aussi un appareillage important à l’hôpital. Le poids économique sur le système de santé n’est pas négligeable. C’est ainsi qu’une équipe de l’Université de Washington tente de mettre au point une technique plus accessible, rapide et simple pour les urologues et les patients. Les résultats sont publiés dans la revue The Journal of Urology.
Élimination coûteuse d’un calcul par ondes de choc
Revenons sur la technique actuelle. Dans les années 1950, l’ingénieur américain Frank Rieber met au point le premier générateur d’ondes de choc en vue d’applications cliniques. Une onde de choc résulte d’une brusque augmentation de la pression (en 100 nanosecondes environ) et un retour à la normale qui suit une loi exponentielle. La durée totale de l’impulsion est de l’ordre d’une microseconde et la pression engendrée est de 100 mégapascals, une pression colossale qui correspond à environ 1000 atmosphères.
Cependant, il faut attendre 1980 pour que cette technique soit effectivement utilisée in vivo. Dès lors, les développements sont rapides. Aujourd’hui, près de 800 centres de lithotripsie extracorporelle par ondes de choc (LEC) existent dans le monde, et plusieurs millions de patients ont pu bénéficier avec succès de cette technique. Elle est devenue le traitement privilégié de la lithiase urinaire (85% des traitements) et nécessite ; un générateur d’ondes de choc, un système de localisation du calcul à détruire et la mise en coïncidence du calcul et du point focal du générateur d’ondes de choc.
Après le repérage du calcul par échographie ou fluoroscopie, le lithotripteur est placé contre le dos du patient et les ondes sont focalisées sur le calcul pour le fragmenter. Ensuite, les patients absorbent du liquide pour évacuer les fragments des calculs dans l’urine. Parfois, après l’intervention, du sang apparaît dans l’urine ou un hématome abdominal se produit, mais les complications graves sont rares.
Malheureusement, de nombreux patients multiplient les visites aux urgences en attendant le traitement définitif de leurs calculs rénaux, associées à la prise d’opioïdes pour la gestion de la douleur. D’autres nécessitent un traitement répété, même après une intervention chirurgicale ou une LEC. En effet, le taux de récidive est d’environ 50% à 5 ou 10 ans.
Dans ce contexte, les scientifiques de la présente étude ont cherché un moyen plus efficace et moins onéreux de traiter cette pathologie. Ils déclarent dans un communiqué : « La capacité de casser des calculs de manière non invasive et d’expulser les fragments chez les patients éveillés lors de la première présentation au service des urgences ou à la clinique a le potentiel de fournir un traitement juste à temps, conduisant à une réduction de la douleur globale, des coûts et du fardeau des ressources associés à un calcul rénal ».
Une nouvelle technique plus flexible
La nouvelle méthode, mise au point par Jonathan Harper et ses collègues, diffère de la LEC car elle peut être appliquée dans des situations moins formelles, en dehors des hôpitaux notamment, à l’aide d’un appareil portatif et sans sédation. La lithotripsie par salve (ou rafale) d’ondes sonores (BWL pour Burst Wave Lithotripsy en anglais) utilise de « courtes rafales harmoniques » d’énergie ultrasonore, c’est-à-dire des rafales d’ultrasons plus petites et plus fréquentes pour casser le calcul rénal, par rapport à la lithotripsie par ondes de choc.
Suite à la mise au point technique, les chercheurs ont effectué des essais sur 19 patients humains atteints de calculs rénaux. Les patients devaient subir une intervention chirurgicale, appelée urétéroscopie, utilisée pour traiter les calculs plus gros. Avant ce traitement, 25 calculs confirmés ont été traités avec une courte période de BWL — pas plus de 10 minutes. À l’aide de l’urétroscope, les chercheurs ont pu observer directement l’efficacité des ondes ultrasonores pour briser les calculs, ainsi que toute lésion éventuelle des tissus rénaux. Dans l’ensemble, l’étude a révélé que 90% du volume total de pierres rénales était fragmenté. Plus précisément, au cours de la brève période de traitement, 39% des pierres étaient complètement fragmentées tandis que 52% l’étaient partiellement.
La plupart des fragments mesuraient moins de deux millimètres — suffisamment petits pour qu’ils puissent facilement passer, sans trop de douleur. Il a également été constaté que le traitement BWL ne causait que des lésions tissulaires périphériques légères et gérables.
Un projet développé avec la NASA
Dès 2013, le projet de lithotripsie par rafale d’ondes sonores a été soutenu par la NASA, car les astronautes sont particulièrement sujets aux calculs rénaux dans l’espace. En effet, la déshydratation, la stase et la déminéralisation osseuse contribuent fortement aux calculs rénaux et se produisent couramment en microgravité. Les astronautes ont signalé des calculs rénaux, après le vol, plus de 30 fois, selon la NASA. Il est aisé de comprendre qu’il soit particulièrement difficile de faire revenir un astronaute dans le cas où le calcul rénal ne peut être évacué naturellement. Un autre obstacle réside dans la détection du calcul rénal lui-même. Les calculs rénaux sont généralement détectés à l’aide de rayons X, d’ultrasons et de tomodensitométries. Mais généralement très lourdes et encombrantes, les machines impliquées ne sont pas adaptées aux voyages dans l’espace.
L’équipe de Harper a donc développé une machine à ultrasons portable qui aidera à détecter et à désintégrer les calculs rénaux sans avoir besoin de chirurgie ou de gros équipements. Cette recherche est financée par le National Space Biomedical Research Institute.
Michael Bailey, co-auteur de l’étude, de l’Université de Washington, explique : « Nous avons montré que nous pouvions produire un prototype fonctionnel, développer une imagerie de qualité suffisante pour guider le traitement, former de nouveaux utilisateurs et mener un essai clinique réussi. Nous avons mis en œuvre nos technologies avec différentes sondes, et notre logiciel d’imagerie peut être ajouté à un système à ultrasons flexible ou à un imageur commercial. Le système, une fois validé en vol, comble largement l’écart pour le diagnostic et le traitement des calculs rénaux lors des missions d’exploration ».
Les futurs essais à bord de la station spatiale affineront la technologie à utiliser dans l’espace, afin d’intégrer des capacités supplémentaires. Ces dernières permettront non seulement de détecter et de manipuler les calculs rénaux, mais également d’évaluer la santé des os, d’améliorer la guérison des blessures musculo-squelettiques, de surveiller la pression intracrânienne via des scanners oculaires et de fournir des outils de formation permettant aux astronautes d’utiliser de manière autonome les ultrasons pour le diagnostic. Plus de 40 articles ont été publiés sur ce travail de terrain et plus de 40 demandes de brevet ont été déposées. La technologie a été concédée sous licence à l’entreprise SonoMotion Inc., qui est en plein essai clinique pour sa version commerciale.
Enfin, il faut savoir qu’une technologie similaire est utilisée, par exemple, au centre médical de Seattle pour traiter les patients souffrant de tremblements, sans impliquer de chirurgies cérébrales invasives et dangereuses, ainsi que dans certains centres médicaux pour le traitement du cancer de la prostate avec de bons résultats.
Le Dr Harper conclut que les nouveaux résultats apportés par cette étude « sont une étape vers une lithotripsie en cabinet pour les patients éveillés ». Les chercheurs prévoient d’autres études pour déterminer si la lithotripsie par rafale d’onde peut atteindre leur objectif ultime d’un traitement non invasif de 30 minutes en clinique sans anesthésie. Cette technologie pourrait ainsi constituer une avancée pratique importante dans la prise en charge des calculs rénaux.