Nos cellules sont spécialisées dans la conduction de courants électriques. En effet, l’électricité est nécessaire au système nerveux pour faire circuler des signaux entre le corps et le cerveau, ce qui nous permet de bouger, de penser et de ressentir. Récemment, des chercheurs ont découvert une activité électrique nouvelle dans les cellules. Elle pourrait changer la façon dont les scientifiques pensent la chimie biologique et même aider à comprendre l’apparition de la vie sur Terre.
Le corps humain, comme celui de tout organisme vivant, est animé par une activité électrique permettant le mouvement, la pensée et les sensations. Des impulsions d’énergie semblables à des éclairs traversent le cerveau et les nerfs, et la plupart des processus biologiques dépendent des ions électriques (comme le sodium, le potassium, le calcium et le magnésium) qui traversent les membranes de chaque cellule de notre corps.
En effet, le contenu d’une cellule est protégé du milieu extérieur par une membrane constituée de lipides créant une barrière que seules certaines substances ou molécules peuvent franchir. Elle agit également comme un moyen pour la cellule de générer des courants électriques.
Les cellules au repos sont chargées négativement à l’intérieur, tandis que l’environnement extérieur est « plutôt » chargé positivement. Cela est dû à un léger déséquilibre entre les ions positifs et négatifs à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule. Les cellules peuvent réaliser cette séparation de charge en permettant aux ions chargés d’entrer et de sortir à travers la membrane. Le flux de charges à travers la membrane cellulaire est ce qui génère des courants électriques.
La membrane semblait donc un élément essentiel pour créer ce déséquilibre de charge à des fins expérimentales. Cependant, des chercheurs de l’Université de Stanford, en 2019, ont découvert que des charges électriques déséquilibrées similaires peuvent exister entre des microgouttelettes d’eau et d’air, sans présence de membrane.
Récemment, des chercheurs de l’Université Duke ont découvert que ces types de champs électriques existent également à l’intérieur et autour d’un autre type de structure cellulaire appelée condensat biologique. Comme les gouttelettes d’huile flottant dans l’eau, ces structures existent en raison des différences de densité. Elles forment des compartiments à l’intérieur de la cellule sans avoir besoin de la limite physique d’une membrane. La nouvelle étude est publiée dans la revue Chem.
Une membrane inutile pour créer de l’électricité
Les cellules peuvent construire des condensats biologiques pour séparer ou piéger ensemble certaines protéines et molécules, entravant ou favorisant leur activité. Les chercheurs commencent tout juste à comprendre comment fonctionnent les condensats et à quoi ils pourraient servir.
Une étude de Nature les définit comme des compartiments à l’échelle du micron dans les cellules eucaryotes dépourvues de membranes environnantes, mais agissant pour concentrer les protéines et les acides nucléiques. Ces condensats sont impliqués dans divers processus, notamment le métabolisme de l’ARN, la biogenèse des ribosomes, la réponse aux dommages de l’ADN et la transduction du signal.
Inspirés par des recherches antérieures démontrant que les microgouttelettes d’eau interagissant avec l’air ou les surfaces solides créent de minuscules déséquilibres électriques, les chercheurs ont décidé de voir s’il en était de même pour les petits condensats biologiques, et si ces déséquilibres déclenchent des réactions d’oxygène réactif, dites « redox », comme pour les autres systèmes.
Effectivement, lorsque des charges électriques (électrons) sont échangées entre deux matériaux, elles peuvent produire des fragments moléculaires qui ont la possibilité de s’apparier pour former des radicaux hydroxyles — formule chimique OH. Ceux-ci peuvent ensuite s’apparier à nouveau pour former du peroxyde d’hydrogène (H2O2) en quantités infimes, mais détectables. Aussi appelé « eau oxygénée en solution aqueuse », il joue un rôle clé dans la chimie de l’eau et de l’ozone de l’atmosphère.
Yifan Dai, chercheur postdoctoral à Duke et co-auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Mais les interfaces ont rarement été étudiées dans des régimes biologiques autres que la membrane cellulaire, qui est l’une des parties les plus essentielles de la biologie. Nous nous demandions donc ce qui pouvait se passer à l’interface des condensats biologiques, c’est-à-dire s’il s’agissait également d’un système asymétrique ».
Le laboratoire du professeur Chilkoti à Duke se spécialise dans la création de versions synthétiques de condensats biologiques naturels, permettant alors aux auteurs d’en concevoir facilement pour tester leur théorie, en y ajoutant un colorant qui brille en présence d’espèces réactives à l’oxygène, témoin de réactions « redox ».
Les auteurs ont alors découvert que lorsque les conditions environnementales sont bonnes, une lueur commence à être émise à partir des bords des condensats, confirmant qu’un phénomène électrique, jusqu’alors insoupçonné, est à l’œuvre. Ashutosh Chilkoti souligne : « La découverte suggère que les condensats n’ont pas simplement évolué pour remplir des fonctions biologiques, mais qu’ils sont également dotés d’une fonction chimique critique qui est essentielle aux cellules ».
Les condensats, essentiels à l’apparition de la vie sur Terre ?
Bien que les implications biologiques de cette réaction en cours au sein de nos cellules ne soient pas connues, Dai donne un exemple prébiotique de la puissance de ses effets : les centrales électriques de nos cellules, appelées mitochondries, créent de l’énergie pour toutes les fonctions de la vie par le même processus chimique de base. Mais avant que les mitochondries, ou même les cellules les plus simples n’existent, quelque chose devait bien fournir de l’énergie pour que la toute première des fonctions de la vie commence à fonctionner…
Il explique que dans un environnement prébiotique sans enzymes pour catalyser les réactions, cette découverte de champs électriques dans les condensats biologiques pourrait fournir des indices sur l’origine de la vie, en tant que source d’énergie.