Des chercheurs américains viennent de combiner l’ADN humain avec celui d’une souris pour créer une nouvelle forme de chimère. L’embryon de souris obtenu comporte près de 4% de cellules humaines, un record pour ce type de manipulation génétique, qui ouvre de nouvelles perspectives dans la recherche médicale.
Pour parvenir à ce résultat, des spécialistes de l’Université d’État de New York, à Buffalo, ont implanté une douzaine de cellules souches humaines dans un embryon de souris. Ces cellules se sont bien adaptées à leur nouvel hôte ; ce genre d’expérience apporte de nombreuses informations sur le processus de croissance et de vieillissement de l’organisme, ainsi que sur le développement de certaines maladies. Mais c’est surtout pour les besoins de transplantation d’organes que la technique est prometteuse.
Une « affinité » qui dépend de la maturité
Le succès n’était pourtant pas garanti. En effet, pour que des cellules souches embryonnaires de deux espèces (ici, homme et souris) puissent se mélanger, il faut qu’elles se trouvent dans le même stade de développement. Les cellules souches embryonnaires sont pluripotentes, ce qui signifie qu’elles peuvent se développer en n’importe quel type de cellule de l’organisme. Mais les cellules souches embryonnaires de souris se comportent très différemment de leurs homologues humaines, ce qui explique que les tentatives antérieures de telles chimères ont échoué, explique Jian Feng, professeur au département de physiologie et de biophysique de l’Université d’État de New York et auteur principal de l’étude.
Or, plusieurs études passées ont révélé que tout était une histoire de maturité : les cellules souches humaines se trouvaient à un stade ultérieur de développement, appelé « état amorcé » (que l’on observe lorsque l’embryon humain est implanté dans la paroi utérine). En revanche, les cellules souches de souris étaient dans un état dit « naïf » (qui se produit lorsque l’embryon de souris se trouve dans les trompes de Fallope). Il était donc nécessaire de faire revenir les cellules humaines à un état naïf également.
Pour ce faire, Feng et son équipe se sont inspirés du phénomène appelé « diapause embryonnaire ». La diapause désigne une phase du développement d’un organisme au cours de laquelle l’activité métabolique se fait moins intense ; un être vivant peut ainsi se mettre « au ralenti » en réponse à des variations environnementales (pénurie alimentaire par exemple), par pur instinct de survie. Au niveau embryonnaire, la diapause consiste en un arrêt temporaire ou au ralentissement de l’embryogenèse. Chez certains animaux, les embryons peuvent alors rester à l’état naïf – dans les trompes de Fallope – pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que les conditions de vie soient plus clémentes.
Si le mécanisme à l’origine de cette « pause » est encore méconnu, les scientifiques savent toutefois qu’une protéine (mTOR) semble jouer le rôle de capteur, et alerte l’organisme lorsque les conditions environnementales sont mauvaises. En temps normal, cette protéine favorise la production de protéines et autres molécules nécessaires à la croissance et à la prolifération cellulaire. Ainsi l’équipe de Feng a entrepris de cibler cette protéine pour induire l’état naïf chez les cellules humaines ; en inhibant son action, ils ont « trompé » les cellules et modifié leur métabolisme. De ce fait, les cellules souches humaines et de souris se retrouvent dans un état similaire.
Un développement accéléré des cellules humaines
Les chercheurs ont par la suite injecté 10 à 12 cellules souches humaines à l’état naïf dans des embryons de souris. Dans la plupart d’entre eux, les cellules humaines se sont très bien développées, évoluant vers des cellules humaines matures dans les trois feuillets cellulaires de l’embryon : l’ectoderme (les cellules primaires qui se développent plus tard pour former les cheveux, les ongles, l’épiderme et le tissu nerveux), le mésoderme (les cellules qui composent les organes) et l’endoderme (les cellules formant la paroi interne des organes). En revanche, aucune cellule humaine n’a envahi le tissu germinal, dont les cellules se développent en ovules et en spermatozoïdes (donc pas de risque de transmission à la descendance).
Les cellules se sont ensuite développées en cellules plus différenciées, et lorsque les chercheurs ont mis fin à l’expérience, au 17e jour, 14 embryons comportaient entre 0,1% et 4% de cellules humaines, notamment dans le foie, le cœur, la rétine et les globules rouges. Un résultat très satisfaisant, mais ce n’était pas le plus surprenant : il se trouve que les cellules humaines ont vraisemblablement imité les cellules de souris et ainsi, se sont développées bien plus rapidement qu’elles ne l’auraient fait dans un organisme humain ! Un phénomène que les chercheurs à l’origine de l’étude n’avaient pas réellement prévu.
Les embryons ont par exemple généré des globules rouges humains en 17 jours (contre 8 semaines environ dans la croissance normale d’un embryon humain). De même, les cellules de l’œil humain, y compris les photorécepteurs, se sont formées dans la chimère en 17 jours (alors qu’elles ne se développent habituellement que beaucoup plus tard…). « Auparavant, les scientifiques pensaient que ce développement accéléré était impossible parce que le rythme du développement des cellules humaines était considéré comme immuable », a déclaré Feng. Pas si immuable que cela finalement…
L’étude réalisée par Feng et son équipe constitue une vraie avancée dans la création de cellules souches humaines pluripotentes. Mais le niveau de chimérisme (4%) reste relativement faible. Une autre étude, publiée récemment dans la base Biorxiv – mais pas encore évaluée par des pairs – évoque en effet des chimères constituées de 20% de cellules humaines par embryon ! Dans tous les cas, ces expérimentations permettent de lever certaines difficultés propres au chimérisme interespèces, ce qui permettra d’étendre les possibilités de la médecine régénérative.
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Ces chimères pourraient notamment aider à mieux comprendre certaines maladies : en injectant des cellules pulmonaires ou épithéliales humaines à un embryon de souris, celle-ci pourrait servir d’objet d’étude pour comprendre l’action du COVID-19 (qui affecte l’Homme, mais peu les souris). Mais l’intérêt médical principal de la création de chimères demeure le développement d’organes, pouvant servir à sauver des vies. Dans ce cas, l’animal de prédilection ne serait pas la souris, mais le porc. Toutefois, le sujet soulève encore bien trop de questions éthiques et de nombreuses discussions devront avoir lieu avant que cette pratique ne soit envisagée… Pour rappel, en France, l’autorisation des recherches sur les embryons chimériques a finalement été abrogée par le Sénat au mois de janvier 2020.