Ce sont les déjections des animaux, apparaissant nettement sur la neige de l’Antarctique, qui ont révélé leur présence. Cette colonie de manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) jusqu’alors inconnue des scientifiques regroupe environ 500 adultes ; ce site de reproduction, relativement petit, s’ajoute aux 65 groupes de manchots empereurs déjà identifiés sur les côtes du continent blanc.
Une étude publiée récemment dans PLOS Biology souligne que malgré les efforts de conservation, la biodiversité de l’Antarctique est hautement menacée par le changement climatique. Le manchot empereur est identifié comme taxon le plus vulnérable : sans diminution des émissions de gaz à effet de serre, « jusqu’à 80% des colonies de manchots empereurs devraient être quasi éteintes d’ici 2100 », avertissent les chercheurs.
La découverte de cette nouvelle colonie pourrait donc être considérée comme une bonne nouvelle, mais le Dr Peter Fretwell, responsable de l’information géographique au British Antarctic Survey, reste pessimiste : « Comme beaucoup de sites récemment découverts, cette colonie est petite et se situe dans une région durement touchée par la récente fonte de la banquise », souligne-t-il dans un communiqué du BAS. Les manchots empereurs ont besoin de glace de mer pour se reproduire ; or, les projections climatiques actuelles montrent que cet habitat est susceptible de décliner. De ce fait, l’espèce a été classée comme espèce menacée en octobre 2022 par le Fish and WildLife Service.
Arborez un message climatique percutant 🌍
La moitié des colonies repérées par satellite
Comme la moitié des colonies de manchots connues à ce jour, cette nouvelle colonie a été découverte par imagerie satellite. De nombreux groupes se trouvent en effet dans des zones inaccessibles et ne peuvent être étudiés que de cette manière. Les scientifiques ont découvert le nouveau site grâce aux images provenant de Sentinel-2, une série de satellites d’observation de l’Agence spatiale européenne, développée dans le cadre du programme Copernicus. La découverte a été confirmée grâce aux images à plus haute résolution du satellite Maxar WorldView-3.
C’est alors qu’il évaluait la perte de glace de mer à partir de photos satellites que Peter Fretwell a repéré la présence de la colonie : celle-ci a été révélée grâce au guano des oiseaux, qui apparaissait très distinctement sur la blancheur du paysage. Elle se situe sur la côte ouest du continent, à Verleger Point. La résolution des images du WorldView-3 était telle qu’elle a permis d’estimer le nombre d’individus de cette population.
Les manchots empereurs sont les plus grands et les plus lourds de tous les manchots, atteignant jusqu’à un mètre de hauteur et pesant jusqu’à 45 kilogrammes. Ils se reproduisent tout au long de l’hiver austral. Ils arrivent dans leurs colonies de fin mars à avril et pondent de mai à juin (les femelles pondent un seul œuf chaque année). Les poussins quittent la colonie après environ 150 jours et reviennent à l’âge de quatre ans pour se reproduire. Les manchots empereurs se nourrissent principalement de poissons, de krill et de crustacés. À ce jour, l’espèce compte approximativement entre 600 000 et 650 000 individus.
Une vulnérabilité due à une extrême dépendance à la glace de mer
« Selon les meilleures données scientifiques disponibles, d’ici 2050, la taille de leur population mondiale diminuera probablement de 26% (jusqu’à environ 185 000 couples reproducteurs) à 47% (jusqu’à environ 132 500 couples reproducteurs) dans les scénarios d’émissions de carbone faibles et élevées, respectivement », avertit le Fish and Wildlife Service des États-Unis.
Sa haute dépendance à la glace de mer — tant pour la reproduction que pour échapper à ses prédateurs que sont l’orque et le léopard de mer — rend l’espèce hautement vulnérable. Si la glace se brise avant que la progéniture ne soit suffisamment robuste, les poussins tombent dans l’eau, se noient ou gèlent. « L’année dernière, nous avons connu l’étendue de glace de mer la plus faible jamais enregistrée en Antarctique, et cette année est encore pire, pour deux années consécutives », a déclaré Fretwell à Live Science.
Le réchauffement climatique entraîne non seulement la fonte rapide de leur habitat, mais augmente également l’acidité des océans, ce qui menace certains crustacés dont ces oiseaux se nourrissent.
Si les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter, 80% des colonies devraient être quasi éteintes d’ici 2100. En revanche, des chercheurs ont calculé en 2019 que si les objectifs de l’Accord de Paris étaient atteints, des refuges viables de manchots empereurs existeraient en Antarctique, et seuls 19% ou 31% des colonies devraient être quasi éteintes d’ici 2100 — selon les scénarios où le réchauffement est limité à 1,5 °C ou 2 °C respectivement.
D’après le GIEC, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C d’ici la fin du siècle est désormais hors d’atteinte. Néanmoins, tout effort réalisé dans le but de limiter l’augmentation des températures peut contribuer à préserver les espèces menacées ; l’objectif de +2 °C reste atteignable. Pour rappel, le changement climatique affecte actuellement près de 11 000 espèces figurant sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ce qui augmente la probabilité de leur extinction.