Des physiciens proposent une nouvelle expérience qui pourrait enfin permettre de détecter des gravitons individuels, les hypothétiques particules élémentaires véhiculant la gravité. Elle consisterait à mesurer la quantité de gravitons isolés absorbés par une barre cylindrique contenant un détecteur quantique ultrasensible. Selon les chercheurs, cette expérience devrait être réalisable dans un avenir proche en vue des avancées en matière de technologies quantiques.
Il y a environ un siècle, Einstein a changé à jamais notre compréhension de la gravité en expliquant son influence sur l’espace-temps. Ses prédictions ont été confirmées par de nombreuses observations, telles que la déformation du tissu spatio-temporel par l’attraction gravitationnelle des objets cosmiques massifs.
Cependant, alors que la plupart des interactions élémentaires possèdent un équivalent quantique, la fusion entre la gravité et la mécanique quantique constitue l’un plus des grands défis de la physique moderne. Le « graviton », l’équivalent quantique de la gravité, demeure insaisissable. Il s’agit en quelque sorte de l’équivalent constitutif élémentaire et particulaire de la gravité, à l’instar des atomes qui composent la matière.
Différentes techniques ont été proposées afin de le détecter. La plupart s’appuient sur des systèmes quantiques entraînant des modifications des lois de la physique standard afin de découler potentiellement sur la gravité quantique. D’autres consistent à se concentrer sur la détection de potentiels éléments cachés dans les ondes gravitationnelles — dont l’existence a récemment été confirmée et qui sont, en théorie, composées de milliards de gravitons. Ces ondes traversent la Terre à la suite d’événements cosmiques cataclysmiques, tels que la collision de trous noirs.
Cependant, malgré des décennies de recherche, aucun graviton n’a été détecté à ce jour. L’idée même d’en repérer a d’ailleurs été considérée comme impossible, car les expériences proposées se heurtent à des limitations techniques majeures. « De nombreux physiciens ont réfléchi à cette question au fil des ans, mais la réponse était toujours la même : c’est impossible », explique dans un communiqué de l’Institut de technologie Stevens Igor Pikovski, également affilié à l’Université de Stockholm. En effet, les expériences quantiques allant au-delà de quelques atomes étaient considérées comme irréalisables, car ces derniers n’interagiraient presque pas avec les gravitons.
Toutefois, des effets quantiques ont récemment pu être observés dans des objets macroscopiques. D’après Pikovski et ses collègues, ces objets sont idéaux pour la détection de gravitons, car ils interagissent beaucoup mieux avec la gravité. Dans cette vision, ils proposent une nouvelle expérience qui pourrait enfin permettre de détecter des gravitons individuels. « Il s’agit d’une expérience fondamentale qui a longtemps été considérée comme impossible, mais nous pensons avoir trouvé un moyen de la réaliser », explique Pikovski. Les résultats de la recherche sont détaillés dans la revue Nature Communications.
Une expérience similaire à l’observation de l’effet photoélectrique d’Einstein
La technique de la nouvelle étude consiste à combiner une technologie de détection existante des ondes gravitationnelles à une méthode améliorée pour détecter l’état énergétique de la matière (aussi appelée détection quantique). La première est composée d’un cylindre très massif (d’environ une tonne) appelé « barre de Weber » et faisant office de résonateur acoustique. Il peut absorber et émettre des gravitons, à l’instar de l’expérience d’émission et d’absorption de photons d’Einstein.
« Notre solution est similaire à l’effet photoélectrique qui a conduit Einstein à la théorie quantique de la lumière, mais les ondes gravitationnelles remplacent les ondes électromagnétiques », explique Pikovski. L’énergie est échangée entre la matière et les ondes uniquement par étapes discrètes, ce qui permettrait de détecter les gravitons individuels émis et absorbés.
Plus précisément, le matériau serait refroidi à son niveau d’énergie la plus basse, puis mis en vibration très légère par le passage d’une onde gravitationnelle. Les détecteurs quantiques ultrasensibles surveilleraient ensuite la manière dont l’énergie des vibrations varie par palier individuel. Ces variations énergétiques sont appelées « sauts quantiques » et leur détection permettrait de déduire qu’un graviton a été absorbé.
Pour l’expérience, l’équipe propose d’utiliser les données d’ondes gravitationnelles collectées en 2017 par LIGO, à la suite de la collision de deux étoiles à neutrons de la taille de Manhattan à New York. « Nous pouvons utiliser leurs données pour établir une corrélation croisée avec notre détecteur proposé afin d’isoler des gravitons individuels », indique Thomas Beitel de l’Institut Stevens, coauteur principal de l’étude.
Toutefois, il est important de noter que la technologie de détection quantique ultrasensible nécessaire à l’expérience n’a pas encore été développée. Néanmoins, les experts estiment que les technologies quantiques évoluent suffisamment rapidement pour que ce type d’expérience puisse bientôt voir le jour. En outre, des sauts quantiques ont récemment été observés dans des matériaux, suggérant une voie prometteuse pour la détection des gravitons.