Une équipe de physiciens de l’Université de Vancouver propose une nouvelle explication à l’accélération de l’expansion de l’Univers sans recourir au concept d’énergie sombre.
Dans une étude publiée le 11 mai 2017 dans le journal Physical Review D sous le titre « How the huge energy of quantum vacuum gravitates to drive the slow accelerating expansion of the Universe », les doctorants Qingdi Wang, Zhen Zhu, et le célèbre physicien William G. Unruh de l’Université de Vancouver proposent une nouvelle explication à l’accélération de l’expansion de l’Univers, sans recourir au concept d’énergie sombre.
C’est en 1998 que Saul Perlmutter et Adam Riess publient les premières observations (c.f source 2) démontrant, via l’analyse des distances de luminosité et du décalage vers le rouge de différentes supernovas de type Ia, que l’univers est en expansion accélérée (la vitesse d’expansion augmentant avec la distance). Dans les années suivantes, plusieurs missions d’observation ont été conduites afin de déterminer le taux d’expansion de l’Univers.
Celui-ci est défini par la constante de Hubble, notée H0. De 2001 à 2016, cette constante n’a cessé d’être redéfinie, s’accordant avec la précision toujours plus accrue des instruments de mesure. En 2016, les données issues de la collaboration H0LiCOW (c.f source 2) donnent une valeur pour H0 de 71,9 km/s/Mpc (kilomètres par secondes par mégaparsecs), en accord avec la valeur relevée par la mission WMAP.
A la suite de cette découverte, des modèles théoriques ont été élaborés dans l’objectif d’expliquer cette accélération. Les physiciens ont notamment postulé l’existence d’un phénomène répulsif à grande échelle sous la forme d’une énergie de nature inconnue représentant ~68% de la densité d’énergie totale de l’univers : l’énergie sombre. Diverses hypothèses ont alors été émises pour expliquer la nature de cette énergie. La première fait intervenir la constante cosmologique d’Einstein, initialement introduite dans les équations de la relativité générale pour contrebalancer l’effet de la gravité et obtenir un univers stationnaire ; cette constante cosmologique ne serait autre que la densité d’énergie du vide quantique dans le modèle cosmologique ΛCDM.
Cependant, la valeur de l’énergie du vide calculée au moyen de la théorie quantique des champs donne une valeur 10120 fois supérieure à la valeur attendue correspondant avec les observations actuelles. Cela oblige donc à effectuer un ajustement fin, c’est-à-dire à régler la valeur de la constante cosmologique arbitrairement afin de la rendre compatible avec notre univers. D’autres modèles font, quant à eux, intervenir de nouveaux champs physiques (quintessence, la k-essences, etc.) ou modifient directement la gravité à divers degrés (gravité f(R), modèle branaire, etc.).
Dans cette publication, l’équipe menée par Unruh se débarrasse de l’énergie sombre et de ses nombreux problèmes en proposant un nouveau mécanisme redéfinissant la notion de constante cosmologique. L’équipe rappelle tout d’abord que, si l’espace-temps paraît calme en apparence, ce n’est pas le cas lorsqu’on l’observe à l’échelle microscopique (échelle de Planck).
Ainsi que l’affirme Wang « l’espace-temps n’est pas si statique que l’on croit, il bouge constamment ». En effet, avec le développement de la mécanique quantique et de la théorie quantique des champs, il est rapidement apparu aux physiciens que le vide quantique était en perpétuel mouvement, sa densité d’énergie fluctuant continuellement. Ce caractère dynamique du vide quantique a notamment été mis en évidence par l’effet Casimir, prédit par le physicien Hendrik Casimir en 1948.
Il ressort des calculs des physiciens que l’immense valeur théorique « problématique » de la densité d’énergie du vide donnée par la théorie quantique des champs devient en réalité une valeur correcte si l’on considère que l’énergie du vide ne fluctue pas seulement dans le temps mais également dans l’espace. En d’autres termes, les équations montrent que l’énergie du vide doit se soumettre au principe d’équivalence de la relativité générale.
Dès lors, cette valeur correspond à une accélération avec un taux d’expansion faible. En effet, dans le Modèle Standard de la cosmologie, le facteur d’échelle (variation de la distance entre deux objets célestes en fonction du temps, due à l’expansion), noté a(t), ne prend en compte que le paramètre « temps ». Toutefois, l’étude montre que si l’on modifie le facteur d’échelle pour qu’il prenne également en compte le paramètre « espace », noté a(t,x), alors la valeur calculée de la densité d’énergie du vide prend une valeur admissible.
Plus précisément, Unruh et ses collègues expliquent que la densité d’énergie du vide fluctue dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire que chaque point de l’espace présente une valeur d’énergie du vide différente d’un autre point quelconque. Mais ce n’est pas tout, car en chacun de ces points apparaît un mouvement de contraction/expansion cyclique lié à la fluctuation d’énergie. En d’autres mots, à l’échelle de Planck, chaque point de l’espace-temps oscille entre contraction et expansion avec une grande amplitude. Ce mouvement se compense pratiquement intégralement, mais par l’intermédiaire d’un mécanisme complexe, la résonance paramétrique faible. Au final, le mouvement d’expansion l’emporte de peu sur le mouvement de contraction.
Même si localement ce mouvement d’expansion apparaît négligeable, à l’échelle cosmologique chaque mouvement d’expansion de chaque point de l’espace s’ajoute jusqu’à donner un phénomène d’ensemble suffisamment important pour provoquer l’expansion de l’univers à un faible taux d’accélération.
Cette étude démontre donc le mécanisme par lequel des fluctuations d’énergie du vide d’amplitude extrêmement importante sont à l’origine d’une faible accélération de l’expansion de l’univers. Unruh conclue cela par l’analogie suivante « c’est similaire aux vagues sur un océan ; leur mouvement n’est pas ostensiblement affecté par le mouvement intense des atomes constituant l’eau sur laquelle elles se déplacent ».
VIDEO : l’expansion de l’Univers
Cette courte animation de la Royal Astronomical Society démontre l’expansion de l’univers selon :
- Le Modèle cosmologique standard ΛCDM (Lambda – Matière Noire Froide, de l’anglais « Lambda – Cold Dark Matter »), qui inclut l’énergie sombre (en rouge, dans l’encadré situé en haut à gauche)
- Le nouveau modèle Avera, qui prend en considération la structure de l’univers et élimine le besoin de l’énergie sombre (au milieu)
- Et pour finir, le modèle cosmologique Einstein-de Sitter, qui n’est autre que le modèle original n’incluant pas l’énergie sombre (tout en haut à droite).
L’encadré du bas quant à lui révèle l’augmentation du « facteur d’échelle » (un indicateur de la taille) en fonction du temps. La croissance de la structure peut également être observée dans les schémas du haut. Notez que chaque point représente un amas de galaxies. Les schémas sont exprimés en Megaparsecs (Mpc), dont 1 Mpc équivaut à environ 3×1019 kilomètres.