Au cours des dernières décennies, les physiciens sont parvenus à sonder la matière à des échelles de plus en plus petites jusqu’à atteindre l’échelle atomique. Ces technologies sont essentielles pour comprendre la structure interne — et donc la dynamique — des matériaux, mais aussi celle des tissus biologiques. Une équipe de chercheurs a franchi un nouveau record de résolution grâce à un algorithme ptychographique, offrant une fenêtre inédite sur le comportement des atomes.
En 2018, les chercheurs de Cornell ont construit un détecteur de haute puissance qui, combiné à un processus basé sur un algorithme appelé ptychographie, a établi un record du monde en triplant la résolution d’un microscope électronique de pointe. Aussi réussie qu’elle ait été, cette approche avait une faiblesse. Elle ne fonctionnait qu’avec des échantillons ultraminces de quelques atomes d’épaisseur. Tout ce qui est plus épais entraînait la dispersion des électrons d’une manière qui ne pouvait pas être démêlée.
Récemment, une équipe, à nouveau dirigée par David Muller, professeur d’ingénierie, a battu son propre record par un facteur de deux avec un microscope électronique à détecteur à matrice de pixels (EMPAD), qui intègre des algorithmes de reconstruction 3D encore plus sophistiqués. La résolution est si fine que le seul flou restant est l’agitation thermique des atomes eux-mêmes.
« Cela n’établit pas seulement un nouveau record. Il a atteint un régime qui va effectivement être une limite ultime pour la résolution. Nous pouvons maintenant déterminer où se trouvent les atomes d’une manière très simple. Cela ouvre un tas de nouvelles possibilités de mesure de la matière qui nous entoure. Cela résout également un problème de longue date : l’annulation de la diffusion multiple du faisceau dans l’échantillon, que Hans Bethe a établi en 1928, et qui nous a empêchés de le faire dans le passé », explique Muller.
Une résolution record grâce à la ptychographie
La ptychographie fonctionne en scannant des motifs de diffusion qui se chevauchent à partir d’un échantillon de matériau et en recherchant les changements dans la région de chevauchement. « Nous recherchons des motifs mouchetés qui ressemblent beaucoup à ces motifs de type ‘pointeur laser’ qui fascinent également les chats. En voyant comment le motif change, nous sommes en mesure de calculer la forme de l’objet qui a causé le motif », indique Muller.
Le détecteur est légèrement défocalisé, brouillant le faisceau, afin de capturer la plus large gamme de données possible. Ces données sont ensuite reconstruites via des algorithmes complexes, ce qui donne une image ultraprécise avec une précision au picomètre.
« Avec ces nouveaux algorithmes, nous sommes maintenant en mesure de corriger tout le flou de notre microscope au point que le plus grand facteur de flou qui nous reste est le fait que les atomes eux-mêmes vacillent, car c’est ce qui arrive aux atomes à température finie », explique Muller. « Lorsque nous parlons de température, ce que nous mesurons en fait, c’est la vitesse moyenne de la vibration des atomes ».
Les chercheurs pourraient peut-être à nouveau surpasser leur record en utilisant un matériau composé d’atomes plus lourds, qui oscillent moins, ou en refroidissant l’échantillon. Mais même à température nulle, les atomes présentent encore des fluctuations quantiques, donc l’amélioration ne serait pas significative.
Une technologie aux applications multiples
Cette dernière forme de ptychographie électronique permettra aux scientifiques de localiser des atomes individuels dans les trois dimensions alors qu’ils pourraient être autrement cachés avec d’autres méthodes d’imagerie. Les chercheurs pourront également trouver des atomes d’impuretés dans des configurations inhabituelles et les imager avec leurs vibrations, un à la fois. Cela pourrait être particulièrement utile pour l’imagerie des semi-conducteurs, des catalyseurs et des matériaux quantiques — y compris ceux utilisés dans l’informatique quantique — ainsi que pour l’analyse des atomes aux interfaces où les matériaux sont réunis.
La méthode d’imagerie pourrait également être appliquée à des cellules ou tissus biologiques épais, ou même aux connexions synaptiques dans le cerveau — ce que Muller appelle la « connectomique à la demande ». Bien que la méthode soit longue et exigeante en matière de calcul, elle pourrait être rendue plus efficace avec des ordinateurs plus puissants en conjonction avec l’apprentissage automatique et des détecteurs plus rapides.