Tous les animaux ne peuvent se protéger de la même façon. Certains vont pouvoir mordre, d’autres griffer. Les céphalopodes, dont la pieuvre, le calmar ou la seiche européenne, ne peuvent pas se permettre ce luxe. Leur principal moyen de défense est le camouflage. Lorsqu’ils longent les fonds marins, leur peau peut prendre la couleur du sable si nécessaire. Récemment, des chercheurs chinois ont présenté une nouvelle technologie de camouflage autonome inspirée des céphalopodes. Elle ne nécessite ni capteurs ni alimentation électrique.
Très peu d’animaux sont dotés de ces capacités de camouflage hors norme, et l’être humain n’en fait bien évidemment pas partie. Si les treillis peuvent parfois tromper l’oeil, ils ne sont que très rarement des camouflages efficaces. En 2017 déjà, des scientifiques de l’Université de Cornell (États-Unis) ont créé un tissu artificiel inspiré des papilles de la peau des céphalopodes : elles s’étendent ou se rétractent instantanément pour changer d’apparence.
Des rides qui se contractent ou se rétractent
Dans un article paru lundi dans la revue PNAS, une équipe de chercheurs de l’Université Jiao Tong de Shanghai (Chine) a expliqué avoir mis au point une nouvelle technologie fondée sur un principe similaire, mais moins onéreux. Si elle possède quelques similitudes avec celle mise au point en 2017, elle est en réalité plutôt différente puisqu’elle repose essentiellement sur la « manipulation » de la lumière : des rides se contractent et se rétractent à la surface de la peau dans un film coloré afin de diffuser la lumière d’une certaine façon.
Le camouflage visible adaptatif mis au point par l’équipe américaine fonctionne grâce à un système de rides dynamiques. Il se fait grâce à un système de biocouches comprenant un copolymère (macromolécule) contenant de l’anthracène (composé chimique) et un pigment PDMS (polydiméthylsiloxane). Autrement dit, les scientifiques ont créé un sandwich de deux types de films différents : d’un côté le polymère rigide et de l’autre une couche de substrat souple mélangé à des pigments.
Lorsque cette dernière se dilate ou se contracte parce qu’elle est frappée par des ondes lumineuses, l’hétérogénéité entre les deux états de ces deux différentes couches crée des rides réversibles à la surface de la peau.
Une fois ce principe acquis, l’équipe de chercheurs s’est concentrée sur la diffusion de la lumière qui détermine si la peau renvoie un aspect coloré ou au contraire, un aspect dissimulé. À contrario, lorsque les rides sont aplaties, qu’elles ont retrouvé un état stable, la peau prend la couleur de son environnement et devient ainsi un camouflage efficace.
Un système low cost
D’après les chercheurs, « de nombreux systèmes de camouflage dynamiques ont été répertoriés. Cependant, la plupart de ceux que nous connaissons aujourd’hui fonctionnent sous forme active et nécessitent des stimuli mécaniques ou électriques supplémentaires, parfois même des capteurs externes ». Des exigences qui ont des conséquences négatives pour une tenue de camouflage : la complexité de fabrication, la taille nécessaire pour le bon fonctionnement du camouflage, mais aussi une apparence qui laisse à désirer.
VIDÉO : Les chercheurs ont réussi à camoufler un certain nombre d’objets différents, dont un imitant un insecte. (© Ma et al./PNAS)
De plus, ces stimuli extérieurs doivent être alimentés en énergie — limitant ainsi l’autonomie. Toutes ces technologies ont donc un coût qui se révèle souvent très élevé. Un argument que mettent d’ailleurs les scientifiques en avant : leur camouflage dynamique coûte peu. En effet, leur technologie n’a besoin que de la lumière du soleil pour fonctionner. Un système simple à configurer et facile à utiliser puisqu’il présente « des caractéristiques dynamiques in situ, sans capteurs externes ni stimuli supplémentaires ».
Une application majoritairement militaire
La principale application de cette technologie est militaire. D’après les chercheurs qui l’ont mise au point, son utilisation permettrait de réduire les pertes de vies humaines au combat. « Le camouflage permet à un appareil ou à un robot de se fondre de manière transparente dans son environnement pour une surveillance efficace de ce dernier et des espèces », précisent les chercheurs. « [De plus,] la reconnaissance et l’anti-reconnaissance jouent un rôle important dans la capacité de survie des cibles sur le champ de bataille. Le camouflage aide les objets militaires à éviter d’être détectés par l’ennemi, ce qui entraîne moins de pertes ».
L’armée française a d’ailleurs mis au point un système de camouflage similaire à celui développé par l’équipe de recherche américaine : le projet Caméléon de l’entreprise Nexter. Cette technologie vise au développement d’un camouflage multispectral adaptatif (visible et infrarouge), soit une solution capable de s’adapter à son environnement à n’importe quel moment et n’importe où.
Cependant, le camouflage visible adaptatif peut être utilisé dans d’autres domaines tels que l’ingénierie ou destiné au grand public par la création d’écrans intelligents, le stockage d’informations ou la mise au point de systèmes anti-contrefaçon.
Aujourd’hui, cette technologie de camouflage visible adaptatif à rides dynamiques n’est testée qu’à petite échelle. Néanmoins, les scientifiques continuent de travailler sur le projet. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer qu’elle pourrait aller au-delà des applications évoquées ci-dessus, pouvant largement se développer au-delà des vêtements de camouflage.