Rejuvenate Bio, une start-up de biotechnologie basée à San Diego, affirme avoir réussi à doubler la durée de vie restante de souris âgées à l’aide d’une technologie de reprogrammation génétique. Leurs résultats, disponibles sur le serveur biorXiv, n’ont pas encore été évalués par les pairs, mais pourraient potentiellement aider à développer des interventions de reprogrammation partielle visant à inverser les maladies associées à l’âge chez les personnes âgées.
Alors que la population mondiale vieillit, il devient impératif d’identifier des interventions anti-âge pour retarder ou même potentiellement inverser le processus de vieillissement. Le vieillissement est caractérisé par une dérégulation chronique des processus cellulaires, conduisant au dysfonctionnement progressif des tissus et des organes. Il constitue ainsi le facteur de risque le plus important pour la plupart des maladies humaines. Il est actuellement impossible de prévenir ce phénomène, mais son impact sur la durée de vie et la santé pourrait être limité par des interventions visant à rétablir un fonctionnement optimal des processus cellulaires.
Plusieurs études ont en effet montré qu’une reprogrammation génétique basée sur les facteurs de Yamanaka — quatre facteurs de transcription que l’on retrouve dans les cellules souches embryonnaires — peut inverser les changements liés à l’âge. Ce type d’approche permet-elle de prolonger la vie de sujets âgés sains ? C’est ce qu’a tenté de vérifier la start-up Rejuvenate Bio, en injectant dans des souris âgées de 124 semaines (l’équivalent de 77 ans en âge humain) du matériel génétique transporté par un virus adéno-associé (AAV). Après ce traitement, leur durée de vie restante a doublé, par rapport à celle des souris témoins.
Une vie plus longue et une meilleure santé globale
Cette thérapie génique repose sur l’exposition des cellules de souris à diverses protéines (ou plutôt, des facteurs de transcription, connus sous le nom de facteurs de Yamanaka), que l’on trouve généralement dans les cellules souches embryonnaires ; ces facteurs — notés Oct3/4, Sox2, KLF4, et c-Myc — provoquent la dé-différenciation des cellules vers un état pluripotent. L’équipe s’est concentrée ici sur les trois premiers.
« Nous avons observé une augmentation de 109% de la durée de vie médiane restante chez les souris traitées à l’OSK âgées de 124 semaines par rapport aux souris témoins traitées à la doxycycline », rapportent les chercheurs dans leur étude. Les souris témoins ont vécu encore 8,86 semaines en moyenne, contre 18,5 semaines pour les souris ayant bénéficié de la thérapie. Dans l’ensemble, les souris traitées ont vécu environ 7% plus longtemps.
Une prolongation modeste, mais tout de même encourageante. « C’est une technologie puissante, et voici la preuve du concept. Je voulais montrer que c’est réellement quelque chose que nous pouvons faire dans notre population âgée », a déclaré Noah Davidsohn, directeur scientifique de Rejuvenate, à MIT Technology Review. Il a été prouvé que la rapamycine (ou sirolimus) peut prolonger la durée de vie médiane des souris de 10%, mais ce type de composé doit être administré pendant une bonne partie de la vie. L’intervention de Rejuvenate a quant à elle des effets immédiats.
À la mort des souris, l’équipe a également évalué leur état de santé cellulaire et tissulaire en estimant l’âge épigénétique de certains tissus, sur la base des schémas de méthylation de l’ADN génomique. Or, les tissus du cœur et du foie affichaient un âge épigénétique réduit chez les souris traitées par rapport aux souris témoins.
Une thérapie séduisante qui peut comporter des risques
Ces résultats devront bien sûr être examinés avec soin par des chercheurs tiers. Les souris sont des organismes bien plus petits et de moindre longévité naturelle que les humains. De ce fait, les résultats observés ne sont peut-être pas transposables à l’Homme. « Des études de suivi prudentes et approfondies sur de grands animaux seront nécessaires pour évaluer la sécurité et l’efficacité des études de rajeunissement partiel », notent les chercheurs.
En outre, si cette approche apparaît miraculeuse, elle comporte également des risques. Les conséquences d’un rajeunissement par thérapie génique étant encore largement méconnues. « C’est un bel exercice intellectuel, mais j’hésiterais à faire quoi que ce soit de similaire à une personne », a déclaré Vittorio Sebastiano, de l’Institut de biologie des cellules souches et de médecine régénérative de Stanford, qui n’a pas participé à ces travaux.
Certaines études ont montré que cette thérapie pouvait entraîner l’apparition de tumeurs chez la souris. « La formation de tératomes a été observée chez des animaux partiellement reprogrammés, en particulier lorsque c-Myc est utilisé dans le cocktail de rajeunissement partiel », précise l’équipe. Bien que peu invasive et peu métastatique, la formation de tératomes a peu de chances d’être acceptée par les organismes de régulation des médicaments. L’équipe n’a toutefois pas observé de formation de tumeurs dans leur expérience utilisant uniquement les facteurs OSK.
L’étude de Rejuvenate comporte néanmoins certaines lacunes : l’équipe n’a par exemple pas précisé quelles et combien de cellules ont été modifiées par le traitement, souligne le MIT Technology Review. Selon Sebastiano, la longévité accrue observée dans l’expérience pourrait être due à des changements dans un seul organe ou groupe de cellules, plutôt qu’à un effet de rajeunissement global de tout l’organisme.
À savoir que plusieurs entreprises — y compris Turn Bio, cofondée par Sebastiano — travaillent déjà sur une reprogrammation génétique plus spécifique, ciblant des conditions médicales particulières : Rejuvenate développe actuellement des médicaments de thérapie génique pour traiter l’insuffisance cardiaque ; Turn Bio tente d’exploiter les facteurs de Yamanaka pour lutter contre les rides ou relancer la croissance des cheveux ; Life Biosciences tente de reprogrammer des cellules de l’œil pour traiter la cécité.