Unification mécanique quantique — relativité générale : de nouvelles données sur les neutrinos nous en rapprochent

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Illustration du télescope spatial à rayons gamma Fermi. | NASA/Fermi/Aurore Simonnet/ Sonoma State University
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Les physiciens tentent depuis des décennies d’unifier la mécanique quantique et la relativité générale, sous la forme d’une théorie de la gravité quantique. La tâche est difficile, en partie du fait que l’observation directe des effets gravitationnels quantiques n’est possible qu’à des échelles de longueur proches de l’échelle de Planck (autour de 10-35 mètres !). Seule l’étude des particules de très haute énergie pourrait fournir les données expérimentales nécessaires. De nouvelles données issues de l’observatoire de neutrinos IceCube apportent aujourd’hui de nouvelles preuves à l’appui de la gravité quantique.

Le neutrino est l’une des particules élémentaires décrites par le modèle standard de la physique des particules ; il peut prendre trois formes (trois « saveurs ») : on distingue le neutrino électronique, muonique et tauique. Ces particules n’ont pas de charge, interagissent très rarement avec la matière et possèdent une masse extrêmement faible, mais non nulle (dont on ne connaît pas encore la valeur exacte). Les scientifiques tentent depuis longtemps de comprendre pourquoi cette masse est si infime.

À chaque instant, nous sommes traversés par des centaines de millions de neutrinos. Les premiers neutrinos sont nés juste après le Big Bang. D’autres sont produits par les explosions d’étoiles massives (supernovas), les trous noirs, le Soleil, la radioactivité naturelle ; certains proviennent de la collision des rayons cosmiques avec notre atmosphère et « inondent » la Terre en permanence. Observer ces particules permet de récolter des données sur les événements qui les ont créés. C’est la raison d’être de l’Observatoire de neutrinos IceCube, situé à la base antarctique Amundsen-Scott.

Des neutrinos ralentis par la gravité quantique ?

IceCube se compose de près de 5500 capteurs optiques répartis sur un kilomètre cube, sous la glace antarctique. Lorsque les neutrinos provenant de l’espace réagissent avec les molécules d’eau de la glace, ils peuvent créer des leptons chargés (électrons, muons ou taus), qui à leur tour, émettent un rayonnement Cherenkov s’ils sont suffisamment énergétiques. Cet effet, similaire à une onde de choc, se produit lorsqu’une particule chargée se déplace dans un milieu diélectrique (ici la glace) avec une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière dans ce milieu.

Cette lumière peut ensuite être détectée par des tubes photomultiplicateurs des modules optiques d’IceCube. La distribution spatiale et temporelle de la lumière permet aux scientifiques de déduire la direction du neutrino incident et potentiellement d’en identifier la source.

Lorsque les protons entrent en collision les uns avec les autres ou avec des photons, il en résulte généralement des pions (aussi appelés «mésons pi»). Les pions chargés se désintègrent ensuite en muons et en neutrinos muoniques, tandis que les pions neutres se désintègrent en rayons gamma. Les physiciens ont ainsi émis l’hypothèse que certains neutrinos et certains sursauts gamma pourraient avoir une origine commune.

Des études antérieures basées sur les neutrinos observés par IceCube ont suggéré quant à elles que certains d’entre eux pourraient être des neutrinos issus de sursauts gamma, dont les temps de parcours seraient affectés par des propriétés quantiques de l’espace-temps ; certains seraient ralentis, tandis que d’autres seraient accélérés (ce qui expliquerait pourquoi ils sont observés à des moments différents).

Pour vérifier cette hypothèse, les données d’IceCube sont utilisées en conjonction avec des télescopes spatiaux à rayons gamma comme Swift ou Fermi. « La recherche de neutrinos provenant de sursauts gamma pourrait également être importante pour la recherche sur la gravité quantique, car ils constituent d’excellentes sondes du tissu microscopique de l’espace-temps », écrivent les chercheurs dans Nature Astronomy.

Des preuves statistiques encore plus robustes

Dans cette nouvelle étude, des chercheurs issus des universités de Naples « Federico II », de Wroclaw et de Bergen ont ainsi utilisé les sursauts gamma observés par le télescope Fermi et les neutrinos de très haute énergie détectés par IceCube, afin de vérifier s’ils pouvaient avoir une origine commune. La collaboration IceCube a récemment révisé de manière significative les estimations de la direction d’observation des neutrinos. Il s’agissait donc ici d’étudier comment ces corrections affectent les résultats des analyses précédentes.

L’équipe rapporte qu’il y a désormais peu de preuves que les neutrinos sont accélérés par les propriétés de l’espace-temps quantique. En revanche, les preuves indiquant qu’ils sont ralentis par l’espace-temps quantique sont encore plus fortes que ce qui avait été déterminé précédemment. « Nos estimations les plus prudentes indiquent une probabilité de fausse alerte inférieure à 1% pour ces « neutrinos lents », ce qui motive de futures études sur des échantillons de données plus importants », précisent les chercheurs.

Cet effet observé sur la vitesse de propagation des neutrinos pourrait indirectement révéler une quantification de l’espace-temps, et ainsi soutenir les modèles de gravité quantique qui prédisent cet effet. « Il s’agit d’une étape importante dans le domaine de la recherche sur la gravité quantique, car c’est la première fois que l’on trouve un tel niveau de preuves statistiques à l’appui de la gravité quantique », a déclaré le professeur Giovanni Amelino-Camelia de l’Université de Naples, premier auteur de l’étude.

Avant de tirer des conclusions définitives, ces résultats préliminaires devront être confirmés par d’autres études, à mesure que l’équipe recueillera de nouvelles données d’IceCube et des télescopes à rayons gamma. Et s’il s’avère que l’effet observé ici n’est finalement pas confirmé, ces travaux n’auraient pas été menés en vain, bien au contraire. « Même si les données futures ne confirmaient pas cet effet, nos résultats fourniraient des limites strictes sur les paramètres des modèles pertinents, ce qui représenterait déjà une étape rare et notable pour la recherche sur la gravité quantique », conclut le physicien.

Source : G. Amelino-Camelia et al., Nature Astronomy

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