Un nouveau traitement injectable à base de molécules à mouvement rapide active la régénération du cartilage en seulement trois jours. Alors que ces « molécules dansantes » ont précédemment induit efficacement la réparation des tissus de la moelle épinière, leur effet sur le cartilage démontre une polyvalence qui pourrait indiquer un phénomène universel. Le composé pourrait ainsi potentiellement être utilisé pour la réparation de nombreux autres types de tissus.
L’arthrose est une maladie articulaire dégénérative affectant près de 528 millions de personnes dans le monde. Avec une prévalence de 365 millions de personnes concernées, le genou est l’articulation la plus touchée. Elle apparaît généralement entre la fin de la quarantaine et le milieu de la cinquantaine et constitue une cause majeure d’invalidité.
La maladie se caractérise par l’usure du cartilage entourant les articulations, ce qui provoque une inflammation, d’intenses douleurs et des raideurs de mouvement. Aux stades avancés de la maladie, le cartilage peut devenir si fin qu’il se transforme en os, sans structure d’amortissement intermédiaire. Cela provoque une sécrétion excessive de liquide articulaire, induisant à son tour les gonflements et les déformations articulaires typiques de la maladie.
Bien que les symptômes puissent être atténués par des exercices et une alimentation équilibrée (pour le renforcement musculaire et le maintien d’un poids santé), seule la chirurgie de remplacement articulaire est actuellement proposée en tant que traitement efficace — ce qui est à la fois coûteux et invasif. Les options pharmacologiques, quant à elles, visent uniquement à ralentir la progression de la maladie.
En outre, chez les humains, les cartilages ne peuvent pas se régénérer suite à une lésion. « Il n’existe pas d’options régénératrices, car les humains n’ont pas la capacité inhérente de régénérer le cartilage à l’âge adulte », explique Samuel I. Stupp de l’Université Northwestern (aux États-Unis). En revanche, les os peuvent s’auto-réparer après une fracture et bénéficient d’un processus de renouvellement et de réparation continu afin de s’adapter aux sollicitations mécaniques permanentes.
En 2021, l’équipe de Stupp a identifié des molécules à mouvement rapide pouvant réparer les tissus et inverser la paralysie suite à de graves lésions de la moelle épinière. Dans le cadre de la nouvelle recherche, le groupe a exploré la manière dont la stratégie pourrait être appliquée à la régénération du cartilage. En d’autres termes, l’étude visait à déterminer si ces « molécules dansantes » peuvent pousser les tissus récalcitrants du cartilage à se régénérer.
« Lorsque nous avons observé pour la première fois les effets thérapeutiques des molécules dansantes, nous n’avons vu aucune raison pour laquelle cela ne devrait s’appliquer qu’à la moelle épinière », indique Stupp en référence à la nouvelle étude, récemment parue dans le Journal of the American Chemical Society.
Des molécules coordonnant leurs mouvements avec les récepteurs cellulaires
Les molécules dansantes sont de grands assemblages formant des nanofibres (dits « polymères supramoléculaires ») comprenant entre quelques dizaines et des centaines de milliers de molécules et interagissant avec les récepteurs cellulaires. La signalisation pharmacologique des cellules s’effectue notamment par le biais de la liaison de molécules organiques avec des protéines à leur surface. Ce processus permet d’activer ou d’inhiber les réponses biomoléculaires ciblées.
Au cours de leurs précédents travaux, Stupp et ses collègues ont découvert que les molécules à mouvement rapide pouvaient facilement détecter et interagir correctement avec les récepteurs cellulaires, qui sont, eux aussi, constamment en mouvement et extrêmement encombrés (et donc difficiles à cibler avec les molécules ordinaires). Ces molécules peuvent également « sauter » temporairement de leur site de liaison, d’où l’appellation « molécules dansantes ».
Une fois injectées, les nanofibres imitent la matrice extracellulaire du tissu environnant. Elles s’adaptent en quelque sorte à la structure de cette matrice en coordonnant leurs mouvements avec ceux des récepteurs et en y incorporant des signaux bioactifs. Cela permet d’induire des réponses ciblées à l’intérieur des cellules.
Un traitement polyvalent pouvant cibler de nombreux types de tissu
Dans le cadre d’expériences en laboratoire, les chercheurs ont ciblé un récepteur spécifique essentiel à la formation et au maintien de l’intégrité de la structure du cartilage. Pour ce faire, ils ont développé un peptide circulaire imitant le facteur de croissance transformant bêta-1 (TGFb-1), impliqué dans la croissance et la prolifération cellulaire. Ce peptide a ensuite été combiné avec deux molécules différentes formant des assemblages supramoléculaires une fois dans l’eau. L’un des polymères possède une structure lui permettant de se déplacer avec fluidité, tandis que l’autre a été conçu pour limiter les mouvements de l’ensemble de la molécule.
« Nous voulions modifier la structure afin de comparer deux systèmes qui diffèrent dans l’étendue de leur mouvement. L’intensité du mouvement supramoléculaire dans l’un est bien plus grande que le mouvement dans l’autre », explique Stupp.
Les chercheurs ont constaté que le polymère conçu pour se déplacer avec plus de fluidité était plus efficace pour imiter la signalisation du facteur TGFb-1. Il serait même plus efficace que celui naturel. Les cellules de cartilage humaines ont produit de plus grandes quantités de composants protéiques de régénération après seulement trois jours d’exposition à la molécule. Cela a activé efficacement la production de collagène de type 2 et d’agrécane, les principales protéines soutenant la structure du cartilage.
« Nous observons désormais les effets sur deux types de cellules qui sont complètement déconnectées l’une de l’autre : les cellules cartilagineuses de nos articulations et les neurones de notre cerveau et de notre moelle épinière. Cela me conforte dans l’idée que nous avons peut-être découvert un phénomène universel. Il pourrait s’appliquer à de nombreux autres tissus », suggère Stupp.
Les experts estiment que ces effets pourraient être considérablement améliorés dans des modèles précliniques. Des essais dans ce sens sont d’ailleurs en cours. Par ailleurs, l’équipe prévoit d’évaluer les effets des molécules dansantes sur la régénération osseuse en utilisant des organoïdes humains. Parallèlement, les chercheurs sont déjà en train d’étoffer leur dossier de soumission à la Food and Drug Administration, dans le but d’obtenir l’approbation pour des essais cliniques visant à tester la thérapie de réparation de la moelle épinière.