Une nouvelle étude, publiée lundi dans Nature Astronomy, révèle la présence de nouvelles molécules organiques sur Mars. Prélevé en 2017 par le rover Curiosity, un échantillon « bâclé » par une dysfonction de foreuse avait été placé dans un mélange réactif liquide. Les résultats de cette analyse viennent de révéler la présence d’acide benzoïque et d’ammoniac. Reste à déterminer quels sont les parents de ces deux molécules, et ce qui a permis leur apparition : processus géologiques… ou biologiques ?
Mars 2017, à la surface de la planète rouge. Le rover Curiosity, présent sur Mars depuis 2012, s’affaire à sa routine dans les dunes de Bagnold, à savoir forer le sol pour en prélever un échantillon. Tout à coup, la mécanique bien huilée s’enraye : la foreuse s’arrête en plein prélèvement. Que faire de l’échantillon incomplet que le rover a eu le temps de prélever ? Les chercheurs ont leur idée en tête : tester dessus la chimie en phase liquide, un volet jusqu’alors inutilisé du laboratoire embarqué SAM (Sample Analysis at Mars).
Le principe : un bouillon chimique, scellé sur Terre dans une petite coupelle, réagit avec les molécules organiques du confetti de sol martien. La réaction a lieu entièrement en phase liquide et repose sur le chauffage intermittent, mais toujours plus intense (100, puis 250, puis 800 °C) de l’échantillon, qui dégaze régulièrement. C’est ce gaz qui est analysé par spectrométrie, pour déterminer les produits issus de la réaction. L’analyse est un succès, et l’ex-échantillon raté se révèle en fait réussi : un article publié lundi dans Nature Astronomy indique qu’il contenait en réalité de nouvelles molécules organiques — c’est-à-dire des molécules contenant des liaisons carbone-hydrogène, omniprésentes parmi les molécules du vivant sur Terre.
Ammoniac et acide benzoïque
Les chercheurs en mettent deux en avant. Tout d’abord l’ammoniac, ou NH3, un ion inorganique déchet du métabolisme de la vie sur Terre et nécessairement récent, au vu de sa vitesse de dégradation. Majoritairement produit sur Terre par la biosphère, il peut aussi être le fruit de processus géologiques. Enfin, de l’acide benzoïque a également été repéré comme produit de la réaction en phase liquide. Il s’agit d’un acide dérivé du benzène dont la formule, C6H5COOH, est déjà un peu plus complexe que celle de l’ammonium.
Mais attention aux conclusions hâtives : acide benzoïque comme ammoniac sont des indices de la présence de biosignatures, et non des biosignatures, c’est-à-dire des preuves irréfutables de vie passée ou présente. Les biosignatures sont un terrain glissant : définies de manière floue, l’annonce régulière et prématurée de biosignatures — à l’instar de la phosphine sur Vénus, annoncée comme une potentielle trace de vie en 2020 pour finalement se voir assigner une probable origine volcanique, si seulement elle existe — pose problème à la recherche et à sa médiatisation.
Mais ici, point d’annonce tonitruante ou survendue. Ce qui n’empêche pas les chercheurs de tirer d’intéressantes conclusions de leurs analyses. « En cherchant des molécules organiques sur Mars, nous essayions de comprendre son habitabilité passée [la capacité de Mars à accueillir la vie]. Et même si l’on n’a pas trouvé de biosignatures, ce que l’on cherchait, nous avons montré que l’analyse par la chimie en phase liquide était prometteuse », détaille Maëva Millan pour le média Inverse, première autrice de l’étude.
Qui sont les parents ?
L’ammoniac, l’acide benzoïque et les autres molécules organiques trouvées ont été identifiés comme produits secondaires de la réaction de l’échantillon martien en phase liquide. Deux questions se posent alors : que sont les molécules parentes de ces molécules, forcément plus complexes ? Et quelle est leur origine ?
« Pour l’instant, en nous basant sur toutes les molécules que nous avons précédemment trouvées sur Mars, nous faisons l’hypothèse que ces molécules pourraient provenir de processus géologiques », ajoute Maëva Millan. Mais en prenant en compte l’origine de l’échantillon de 2017, une région jadis humide, ces molécules pourraient compléter le tableau d’une Mars habitable… pendant quelque temps du moins, et régionalement.
Une hypothèse d’autant plus séduisante que les molécules organiques sur Mars semblent de plus en plus monnaie courante : des panaches découverts en 2009 relarguant dans l’atmosphère martienne du méthane — CH4, la molécule organique la plus simple, de grandes molécules organiques trouvées dans des boues fossiles de plus de 3 milliards d’années en 2018, ou encore la mise au jour de thiophène — C4H4S, présent sur Terre notamment dans la matière organique fossile — par Curiosity en 2020.