Une récente étude apporte de nouveaux éléments confortant l’hypothèse selon laquelle les trous noirs seraient des « gravastars », des objets radicalement différents. Il s’agit d’un type d’étoile hypothétique entièrement constituée d’énergie noire — la même qui alimente l’expansion de l’Univers. Selon les chercheurs, cela pourrait résoudre les incohérences physiques liées à l’existence de la singularité au centre des trous noirs.
Les trous noirs figurent parmi les objets les plus extrêmes et les plus énigmatiques de l’Univers. Théorisés pour la première fois en 1915 par le physicien et astronome allemand Karl Schwarzschild (sur la base de la relativité générale d’Einstein), leur attraction gravitationnelle est si intense que même la lumière ne peut en échapper.
Cependant, bien que de nombreuses observations aient confirmé la plupart des caractéristiques théoriques des trous noirs, certaines lacunes subsistent et remettent en question leur véritable nature. Les théories actuelles avancent que le centre d’un trou noir est un point de densité infiniment élevée appelé « singularité ». Il s’agit entre autres de la conséquence de leur effondrement gravitationnel au niveau d’un point ultra-dense et compact. D’un autre côté, l’existence d’un horizon des événements et la perte d’informations qui en découle suggèrent une perte de prévisibilité dans l’effondrement gravitationnel.
Or, d’un point de vue physique, l’infini et l’imprévisibilité n’existent techniquement pas, ce qui suggère une incohérence dans les modèles théoriques conventionnels des trous noirs. Cela a amené les chercheurs à explorer des modèles alternatifs se conformant à la fois aux précédents et cherchant à combler leurs lacunes. « Ces problèmes indiquent que quelque chose ne va pas ou est incomplet dans le modèle du trou noir et que le développement de modèles alternatifs est nécessaire », explique à Livescience João Luís Rosa, professeur de physique à l’Université de Gdańsk en Pologne et auteur principal de la nouvelle étude.
Parmi les modèles alternatifs proposés figurent les gravastars (un diminutif pour « gravitational vacuum star »), faisant partie des modèles d’objets désignés sous le nom d’Exotic Compact Objects (ECOs). Ces derniers visent à respecter plusieurs critères de pertinence physique tels que la stabilité et la non-exoticité de la matière (c’est-à-dire qui présente des conditions énergétiques appropriées) tout en présentant des propriétés qui ne s’écartent que légèrement des trous noirs conventionnels.
Proposés pour la première fois en 2001, les gravastars sont des objets hypothétiques plus ou moins similaires aux étoiles et constitués d’énergie noire — qui serait entre autres responsable de l’expansion de l’Univers. Ils sont interprétés comme des bulles contenant du vide enveloppées d’une coque de matière extrêmement dense. Leur principal avantage est qu’ils ne présentent pas de singularité.
Dans leur étude récemment publiée dans la revue Physical Review D, Rosa et ses collègues explorent cette hypothèse en analysant de nouvelles données d’observation. Leurs résultats révèlent des similitudes frappantes entre les flux de matière observés au niveau des trous noirs et ceux supposés pour les gravastars.
Des ressemblances frappantes avec le nouveau modèle théorique
Les gravastars font partie d’un large éventail de propositions d’ECOs, englobant des objets ultra-compacts composés d’un ou plusieurs fluides relativistes. À l’instar des trous noirs, ils constitueraient un stade final de l’évolution d’étoiles massives, lorsque celles-ci ont épuisé leur combustible et finissent par s’effondrer sur elles-mêmes pour former des objets extrêmement denses. Cependant, contrairement aux trous noirs, ils ne présenteraient pas de singularité, car leur stabilité est maintenue par l’énergie noire qu’ils contiennent.
L’absence de singularité permet à l’effondrement gravitationnel des gravastars de cesser d’évoluer passé un certain seuil. En d’autres termes, ils présentent une transition de phase au niveau (ou près) de l’horizon des événements. À cette limite, la gravité est si intense que la matière se transforme en condensat de Bose-Einstein, un état de la matière constitué de bosons (une particule subatomique de spin entier) identiques. Ce condensat formerait ensuite une sphère quasi indestructible entourant le vide ou l’énergie noire du gravastar.
Afin d’explorer si ces caractéristiques correspondent aux données d’observation des trous noirs, les chercheurs de la nouvelle étude ont analysé les interactions des particules et des rayonnements au niveau de leur disque d’accrétion. Ils ont également examiné les propriétés des points chauds, de gigantesques bulles de gaz entourant les trous noirs et orbitant à des vitesses proches de celle de la lumière.
Les chercheurs ont constaté que les gravastars présentent une étonnante cohérence avec les données d’observation. Non seulement le déplacement de la matière est similaire, mais les trous noirs projettent également une ombre visible comparable à celle théorisée pour les gravastars. « Cette ombre n’est pas causée par le piégeage de la lumière dans l’horizon des événements, mais par un phénomène légèrement différent appelé ‘redshift gravitationnel ‘, provoquant une perte d’énergie de la lumière lorsqu’elle se déplace à travers une région avec un fort champ gravitationnel », explique Rosa. Lorsque la lumière émise par ces objets parvient à nos télescopes, la majeure partie de son énergie est perdue en raison de leur champ gravitationnel, faisant ainsi apparaître une ombre.
Toutefois, il est important de noter que ces résultats doivent encore être étayés par des expériences et davantage d’observations — qui pourraient être faites prochainement selon les experts. « Pour tester nos résultats expérimentalement, nous comptons sur la prochaine génération d’expériences d’observation en physique gravitationnelle », déclare Rosa en faisant référence aux prochaines observations du télescope Event Horizon et de l’instrument GRAVITY+, qui sera ajouté au Very Large Telescope au Chili — ciblant les trous noirs au centre des galaxies, y compris la nôtre.